Européennes 2014 : « L’incompétence des petits partis en font les alliés objectifs de l’extrême-droite »

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Le scrutin des Européennes a été malheureusement marqué par le bon score de l’extrême-droite. Cette performance témoigne d’une réelle dynamique du parti frontiste qu’il est toutefois nécessaire de contextualiser. En parallèle, les partis traditionnels et notamment ceux de gauche ont subi une véritable débandade. Si le score du FN est bonifié par l’abstention, son nombre de députés européens est lui boosté par la stratégie kamikaze des partis écologistes et communistes, qui au lieu de proposer une alternative solide, déroulent le tapis rouge à la droite et à l’extrême-droite grâce à leur incompétence tactique.

 

Le FN est le grand vainqueur de ce scrutin, c’est indéniable, tant en pourcentage qu’en nombre d’élus. On peut noter que ce parti perd des voix par rapport à la Présidentielle de 2012, mais l’abstention est moins forte que pour les autres partis. La fille Le Pen est donc en train de réussir son pari, structurer son parti, créer une marque connue et reconnue, et fidéliser un électorat stable et fidèle. À défaut d’avoir un programme, elle s’appuie sur un terreau fertile, le déclassement social qui frappe de nombreux territoires de notre pays. Ce phénomène se caractérise par la déstructuration sociale, c’est-à-dire la disparition des solidarités traditionnelles issues d’un phénomène de classe, ainsi que par le retrait de l’état central.

Au delà de l’image traditionnelle de la classe ouvrière, le phénomène de classe se caractérise par un phénomène communautaire : on se reconnaît membre d’un groupe avec lequel on partage des valeurs, des liens, et au sein duquel s’exerce une solidarité de groupe. La fermeture massive et constante de grandes entreprises a provoqué un appauvrissement de régions entières et l’isolation des populations concernées. L’État, en se désengageant de l’économie, en vendant les entreprises publiques, et en laissant des groupes rapaces multinationaux piller notre patrimoine économique, a trahi les populations victimes de cette crise économique trentenaire. Cette faute est aggravée par le retrait de services publics essentiels, allant de concert avec une désertification économique.

 

L’échec du duo UMP/PS

Cette politique a été menée tant par la droite que par les socialistes, ce qui aux yeux des populations a participé à valider la thèse du « tous pourris ». Et que dire de la réforme territoriale proposée par les Bourvil et De Funès qui dirigent le pays ? En supprimant les Conseils Généraux, et en diminuant le nombre de régions, de nombreuses villes moyennes seront automatiquement pénalisées, ce qui fera bondir dans ces zones les taux de chômage. Les populations vivant dans ces territoires sinistrés n’ont plus d’espoir pour le futur, seulement une crainte d’une chute sociale, et que leurs enfants aient une vie plus dure que la leur. Des enfants qui héritent d’une situation cataclysmique : une économie délabrée ; un pays qui accepte minablement d’être une puissance de troisième zone et qui baisse la tête ; une dette abyssale causée en majorité par des taux d’intérêts trop élevés, donc par l’incompétence financière des gouvernements bien plus que par une population qui vivrait soit disant au dessus de ses moyens, alors que le déficit annuel équivaut au remboursement de la dette ; une dette écologique criminelle qui menace la survie même de l’Humanité ; une carrière professionnelle instable avec des promesses de stages sous-payés et de précarité généralisée lorsque ce n’est pas tout simplement le chômage. Comment dans ces conditions s’étonner que ces populations se détournent de partis dont les chefs n’ont que trop démontré leur incompétence, pour suivre des slogans faciles ? Le FN est d’ailleurs le seul parti qui a su mettre en place une stratégie judicieuse pour ces élections, son matériel de campagne étant de bonne facture. Au contraire, entre les euro-béats totalement déconnectés de la réalité, les pseudos résistants battus avant la bataille, et les hypocrites de tous poils, le choix proposé était d’une médiocrité rarement atteinte. Quelques petites listes ont su tenir la route, mais leur dynamique propre et l’inégalité de traitement quant au coût de cette élection les condamnaient à l’avance.

 

Des forces alternatives médiocres

L’effondrement des deux gros partis qui dirigent le pays en alternance est sans précédant. Ensemble ils ne recueillent qu’un tiers des voix. Il s’agit là d’un réel séisme politique qui théoriquement devrait ouvrir la porte aux alternatives. Le fait que seul le FN en profite témoigne de la médiocrité des forces de gauche alternatives, et de la faiblesse du centre. Bayrou en retrait, Borloo out, le centre était orphelin, avec une communication inefficace. Il n’a donc pas su profiter du recul de l’UMP. L’énervé Mélenchon paye lui très cher sa stratégie suivie depuis 2012. Soutenir Hollande sans contrepartie a été une erreur phénoménale, suivre la voie de l’opposition stérile en aboyant à tout va a fini de le décrédibiliser aux yeux de tous. Lâché de toutes parts devant la preuve de son manque de stature, il n’a pas su incarner avec son micro-parti aux rares militants le leadership à gauche qu’il pouvait espérer au soir du premier tour de la Présidentielle. Une grosse déception et un beau gâchis. Dans son pathétique front contre front, Méluche est KO et les Le Pen triomphent.

A coté de ça les Verts limitent la casse, mais leur stratégie d’épuration interne par le vide n’en finit pas de les affaiblir. À noter les bons scores de Bové dans la région, la dynamique autour d’un nom restant une valeur sûre, même si cette stratégie est taboue dans ce parti qui a horreur des leaders, surtout s’ils sont charismatiques. À noter que les Verts ont offert à Cohn Bendit un procès pour son départ à la retraite, tout un programme… À Toulouse EELV fait un bon score, ce qui souligne d’autant plus le fiasco des Municipales.

 

Une incompétence tactique

Le gros problème vient surtout de la division. Qu’il y ait de nombreuses listes n’est pas un problème. Mais que des petits partis comme le PG ou EELV refusent de s’allier pour créer des dynamiques dans un scrutin proportionnel de liste à un tour, c’est de l’incompétence tactique pure. Lorsqu’on s’allie il faut laisser des postes éligibles à ses alliés, les Verts et le FdG ont préféré faire cavaliers seuls et laisser les places éligibles au FN plutôt qu’au NPA/LO ou à Nouvelle Donne. Face au péril de l’extrême-droite qui nous menace, ils préfèrent les luttes intestines en craignant de perdre leur pseudo leadership sur leur micro chapelle. Comme je l’indiquais dans la chronique précédente, il est incompréhensible que les communistes se présentent divisés. Une liste d’union FdG-LO-NPA aurait eu pour conséquence d’avoir un élu rouge en plus dans la région nord-ouest à la place d’un FN (il ne manquait que 0,34 % au FdG sachant que le NPA et LO ont réalisé 2,12%).

Pour les Verts la situation est plus marquante. En 2009 ils ont eu de bon résultats notamment en étant unis, et en profitant de la dynamique verte légitimée par le gouvernement Sarkozy, Nicolat Hulot et le Grenelle de l’environnement. Une union avec les autres écologistes, avec Nouvelle Donne qui a le même positionnement politique qu’eux, et avec les partis Bretons, donc avec des gens qui sont théoriquement proches politiquement parlant, aurait fait passer le nombre d’élus verts de 6 à 11, même avec de mauvais reports de voix (inférieurs à 50%). Les cinq élus gagnés par cette union auraient été pris au FN (est et sud-est), à l’UMP (ouest et Massif-Central), et au PS (Ile-de-France). Néanmoins, de telles unions n’auraient eu aucune conséquence à priori dans le sud-ouest. Par extension, et dans une logique encore plus théorique, une union des forces de gauche et écologistes qui aurait réuni les deux unions précédemment citées aurait eu 2 élus en plus, un dans la région au détriment de l’UMP, et un autre dans le sud-est aux frais du PS. Sans surprise, c’est là où la gauche alternative est la plus faible qu’elle aurait eu le plus intérêt à s’unir. Avec une stratégie d’union verte, EELV aurait talonné le PS pour la troisième place (11 élus contre 12), en stratégie d’union globale, les listes rouges-vertes aurait pu arriver première dans au moins deux régions (ouest et sud-ouest) et aurait pu avoir 19 élus, soit 2 de plus que l’UMP et 2 de moins que le FN. Il est également possible qu’une logique d’union ait pu provoquer une dynamique susceptible de mobiliser davantage l’électorat ce qui aurait pu avoir un effet « bonus ». C’est probable mais impossible à quantifier. Une telle logique peut sembler irréaliste, elle a toutefois été en partie mise en œuvre avec un certain succès en Espagne.

Après, si les partis de gauche sont assez idiots pour préférer se prendre une déculottée plutôt que de jouer les premiers rôles, ce n’est pas de la faute des électeurs. On pourrait tout de même conseiller aux micro-partis PG, PCF et EELV, d’embaucher des gens qui y comprennent quelque chose en stratégie électorale et en modes de scrutins, au moins pour arrêter d’être les alliés objectifs de l’extrême-droite…

 

Chronique signée par Julien Faessel, ancien secrétaire d’Europe Ecologie les Verts à Toulouse que vous retrouverez un jeudi sur deux sur Toulouse Infos ou sur son blog .