À Toulouse, les transports courent après la ville

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Image d’illustration. Photo / CTI

Après le Conseil Général, acteur omniprésent mais peu visible, intéressons-nous à un acteur très visible qui a été longtemps totalement absent, la ville de Toulouse. Aujourd’hui les transports sont la calamité des Toulousains, le réseau étant constamment insuffisant. Une partie de l’explication se trouve dans l’Histoire.

 

À Toulouse, pendant longtemps les transports publics étaient « au risques et périls de l’exploitant », comme cela était précisé noir sur blanc sur le contrat. La ville avait délégué à un prestataire privé la création et la gestion du réseau de transports. Il s’agissait de l’entreprise de « l’empereur des transports toulousains » Firmin Pons. À partir des années 1860, la ville voit apparaître des omnibus tirés par des chevaux. Un réseau de tramway est ensuite également installé, lui aussi dans un premier temps hippomobile, avant son électrification. Il y a un réel besoin, puisque l’exode rural dope la démographie municipale et la ville commence à doucement s’étendre. Il y a également des « villages » (qui sont aujourd’hui des quartiers) qui sont hors de la ville et que ces omnibus et tramways permettent de relier au centre-ville. Une marque de fabrique des transports toulousains est forgée à cette époque, toutes les lignes passent par l’hypercentre, à savoir la place du Capitole, dont les façades sont alors blanches. Une ligne passe même rue Saint Rome, dont les pavés irréguliers ont traumatisés des générations entières d’usagers du tramway. Le succès est toutefois au rendez-vous tant cette offre répond à un réel besoin, et des extensions ambitieuses sont envisagées. Mais l’arrivée de la Grande Guerre freine brutalement cet âge d’or.

 

Pas un centime d’ancien franc à mettre dans les transports publics

1914 est un réel tournant, c’est le début de 60 ans de lente descente aux enfers. Patriote, l’entreprise Pons participe à l’effort de guerre, ce qui pénalise ses comptes et lance une dynamique de cercle vicieux qui ne sera jamais stoppée. Pour faire des économies, l’entreprise réduit les investissements et le personnel, le service et le matériel se dégrade, ce qui fait baisser la fréquentation, et ainsi nécessite une hausse des tarifs, qui fait baisser la fréquentation, et nécessite des économies d’investissements, etc. Cette désaffection est en partie possible à cause de l’arrivée inopinée d’un concurrent déloyal qui s’est diffusé au sein des foyers, le vélo. Dans les années 20 et 30, Toulouse appartient aux cyclistes, au grand dam des successeurs du père Pons décédé en 1920, qui ne l’oublions pas jouent leurs économies dans l’affaire et ont donc l’obligation de tirer un bénéfice de l’activité de transports.  Et la mairie dans tout ça ? Toulouse est alors un fief du socialisme municipal qui se veut hyper-actif sur tous les sujets, notamment l’insalubrité des logements qui est alors une catastrophe sanitaire de grande ampleur. Tous les sujets, sauf un, les transports. Le locataire du Capitole, notamment l’emblématique Étienne Billières, estime alors n’avoir pas un centime d’ancien franc à mettre dans les transports publics. Cela donne donc de beaux dialogues de sourds entre la mairie et l’exploitant lorsqu’il s’agit d’étendre un réseau figé dans une ville qui n’arrête pas de s’étendre. Les ressources de l’exploitant étant aspirées par l’entretien du vaste réseau hérité de la Belle Époque, il est dans l’incapacité de financer les extensions nécessaires et exigées par la population.

 

Un réseau à son point zéro au début des années 70

À partir de 1945 un nouveau maître de la chaussée s’impose rapidement, la voiture. De nombreux travaux sont menés pour lui faciliter l’accès de la ville. Le réseau de tramway, obsolète et inconfortable à souhait est rapidement démantelé dans l’indifférence générale. Les omnibus avec conducteur et receveur sont remplacés par des autobus inadaptés au transport urbain avec chauffeur-receveur unique, ce qui provoque des retards démesurés. Au passage, ces autobus ne bénéficient que d’un entretien minimum, certaines lignes pentues étant clairement dangereuses du fait de l’état des freins des véhicules, tout un programme… Tout l’argent public va aux routes pour les voitures. Le transport public est vu dans les années 60 par le socialisme municipal finissant comme étant un service social, pour les parias de la modernité qu’on compresse, parallèlement à la compression du personnel, comme le dénonce les syndicats du transporteur. La recherche constante d’économies amène le réseau à son point zéro au début des années 70. Les transports sont un élément clé des élections municipales de 1971, inaugurant là une constante toujours en vigueur. Le maire socialiste de l’époque avait voulu laisser sa trace en lançant de nombreux projets immobiliers tel le grand Mirail qui ont étendu considérablement la taille de la ville. Son prédécesseur en place depuis la Libération, menait lui une politique prudente, restreignant l’urbanisme sur un périmètre minimal pour éviter une extension trop forte des réseaux. Toulouse dispose d’un territoire municipal gigantesque, de la taille de Paris, le dernier maire socialiste du 20ème siècle utilisait donc une partie des réserves foncières de la ville qui avaient été classées jusque-là inconstructibles pour éviter un étalement urbain incontrôlable.

 

Les transports courent après la ville

La victoire de Pierre Beaudis en 1971 est souvent présentée comme une alternance, mais cela ressemble plus à une révolution de palais. En effet ce dernier était adjoint du maire socialiste depuis 1959, soutenant ce dernier contre les gaullistes. Toulouse avait alors une majorité composée des socialistes et du centre-droite. En 1973, la création de l’ancêtre de Tisséo permet au nouveau maire de lancer une vraie politique de transports publics, à partir de zéro tant le réseau précédant était vétuste, obsolète et inadapté. À partir de ce moment, à Toulouse les transports courent après la ville, tant ce retard originel semble irrattrapable. Ce retard empêche également une politique anticipatrice à cause des urgences flagrantes du présent. Dans les années 70, une politique ambitieuse est donc menée en faveur des autobus, avec des investissements conséquents dans du matériel neuf. Mais parallèlement la voiture continue d’être encouragée, dans une vision qui permettrait la coexistence pacifique et heureuse des deux modes de déplacement tous deux en explosion numérique. Notons tout de même que le père Baudis a enterré le projet abracadabrantesque de transformer le canal du Midi en autoroute urbaine pour désengorger le centre-ville (sic). Ils n’avaient peur de rien à l’époque… Le nouveau réseau de bus poursuit alors la logique de centralisation initié par les omnibus. Tous les bus passaient donc rue d’Alsace-Lorraine, où on pouvait assister à des bouchons de bus dans un sens sur voie réservée, et des bouchons de bus et de voitures dans l’autre… En parallèle, l’extension continue de la ville avec l’étalement des activités et des habitants rendait difficile l’organisation du réseau de transport, d’où le choix de l’organisation radiale qui provoquait la saturation du centre. Pour renforcer le réseau de transport en commun, il y avait un consensus à la fin des années 70 sur le projet de TCSP (Transport en Site Propre). Ce projet prévoyait deux lignes qui se croisent au centre-ville, et une liaison ferroviaire Arènes-Colomiers. Aujourd’hui, soit trente-cinq plus tard ce projet de TCSP a été concrétisé, et nous ne pouvons que constater qu’il n’y a pas de nouveau plan ambitieux pour prendre la suite. Les dernières campagnes électorales ont bien proposé diverses lignes de tramway, abandonnées depuis malgré leur pertinence. Une d’elle s’est d’ailleurs depuis transformée en projet de métro, mais il manque un plan d’ensemble à l’échelle de l’agglomération. L’ampleur de la tâche semble tétaniser les décideurs politiques qui préfèrent avancer par à-coups, une ligne de bus par ci, une lignette de tramway par-là, une extension du métro là-bas.

 

Et le vélo dans tout ça ?

Pour finir, un rapide mot sur les transports doux. La même logique semble suivie pour le vélo comme pour le reste. L’absence d’un plan d’ensemble et d’une réelle volonté politique est manifeste. La majorité Cohen a bien tenté une politique du chiffre, qui comme toute politique du chiffre n’est qu’un rideau de fumée. La ville ne compte que trop peu de pistes cyclables en sites propres sur des axes fréquentés, certaines étant d’ailleurs en très mauvais état. Derrière des chiffres encourageants, les bandes cyclables et les contre-sens sont dangereux pour les cyclistes. Je parle en connaissance de cause en ayant été renversé sur une de ces bandes un dimanche matin en allant chercher du pain. Le réseau VéloToulouse quant à lui apporte un service précieux, mais la gestion confiée à un prestataire privé retire à la ville la capacité d’augmenter le réseau de stations. Il en faudrait au moins deux fois plus pour desservir la périphérie, alors que l’entreprise qui s’en occupe estime déjà avoir fait plus que ce qui était convenu. Pour finir, il est dommage que lesdites stations ne bénéficient pas d’un toit, pour éviter les selles mouillées lorsqu’il a plu, et que leurs bornes tactiles ne soient pas orientées vers le nord, pour éviter les reflets du soleil. Mais ce n’est là qu’une goutte d’eau…

 

Julien Faessel