Egypte. Dalia Hassan : « Ce n’est pas un coup d’Etat. L’armée s’est ralliée au peuple »

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Un an après l’élection de Mohammed Mordi à la tête de l’Egypte, le gouvernement des frères musulmans est décrié par le peuple. Mercredi, c’est l’armée, sous l’impulsion de la population, qui a destitué le Président égyptien, et mis en place une gouvernance intérimaire, assuré par le Président du Conseil constitutionnel, Adly Mansour. Dalia Hassan, directrice délégué du Marathon des mots de Toulouse, est de nationalité égyptienne. Elle a accepté de partager son analyse sur les récents événements.

 

Toulouse Infos : Comment expliquez-vous ce mouvement des derniers jours, qui semble être un prolongement du printemps arabe que l’on a connu en 2011 ?

Dalia Hassan : C’était latent déjà depuis un moment. La gouvernance de Mohammed Morsi est un échec, il a montré qu’il n’était pas capable d’assumer son rôle. En réalité ce qui a eu lieu dimanche était déjà pensé depuis Mars dernier. Le mouvement Tamarod (rébellion) a lancé un appel au rassemblement le 30 juin, date symbolique (Election présidentielle 2012). Ils ont rassemblé 2 millions de signatures contre le pouvoir en deux semaines, et aujourd’hui on porte le chiffre à 22 millions. Là bas tout le monde est contre eux, toutes les couches de la société. Ils ont fait du commerce avec la religion, accentué les affrontements interreligieux. Le tort qu’à eu le gouvernement des frères musulmans c’est de considérer que leur nation est celle de l’Islam, une nation qui n’a pas de frontière. Mais les égyptiens, pour eux, ce qui compte c’est l’Egypte.

TI : Qu’est ce qui selon vous a déclenché cette révolte chez le peuple égyptien ?

DH : Depuis la révolution arabe de 2011, et l’élection de Mohammed Morsi au pouvoir, l’état du pays s’est dégénéré. Le peuple égyptien a vécu une année très difficile, sur le plan social, économique, religieux. Ça a été une année de souffrance, de pénurie d’essence, de chômage et d’insécurité énorme…Il y a eu, en un an de présidence du parti des Frères musulmans, des problèmes très graves que même sous le régime de Moubarak nous n’avons pas connu. La force des égyptiens c’est cette bonté et cette générosité qui les caractérisent. Il existe encore une forte solidarité humaine, il n’y a pas cette indifférence que l’on retrouve dans les pays européens.

TI : L’armée est aujourd’hui accusée par la scène internationale d’avoir orchestré un coup d’état. Est-ce que selon vous l’armée était légitime à agir ou  a-t-elle profité de la situation ?

DH : Ce n’est pas un coup d’Etat. L’armée s’est ralliée au peuple. Il y avait plus de 23 millions de gens dans la rue. Cette révolte c’est celle du peuple, pas de l’armée. Sans lui, l’armée n’aurait eu aucune légitimité à agir. Elle a observé, elle s’est tenue à l’écart jusqu’à pauser un ultimatum au gouvernement face à la mobilisation énorme. Mais avant, elle a lancé plusieurs appels afin d’instaurer entre le pouvoir et le peuple un dialogue. La présidence a refusé, parce qu’ils sont attachés à leur soit disant légitimité. L’armée agit aujourd’hui en tant qu’arbitre. Maintenant, il faut rester vigilent et voir comment elle va gérer cet intérim. Mais si l’armée garde le pouvoir, le peuple descendra à nouveau dans la rue. C’est une joie prudente que je ressens aujourd’hui.

TI : Quel avenir politique existe-t-il aujourd’hui pour le pays ?

DH : Lors du discours du Général Al Sissi, il était entouré par plusieurs représentants de la société égyptienne. Cheikh Ahmed El Tayeb, Cheikh de l’Azhar, le Pape tawadaros de l’église copte, El Baradei, prix nobel de paix en 2005 et fondateur du Parti Al Dostour, ainsi que le jeune chef du mouvement Tamarod. C’était une belle image de cette Egypte plurielle, différente et qui se complète. Le Front du Salut National (FSN), créé par El Baradei, une coalition entre plusieurs figures politiques parfois divergentes, est porteur de cet espoir. Ils arrivent à parler d’une seule voix.

TI : Qu’est ce qu’il est nécessaire d’amorcer aujourd’hui comme changement pour que l’Egypte continue d’avancer ?

DH : Il est urgent de trouver un compromis et d’engager la refonte de l’infrastructure du pays. C’est les institutions nationales qui doivent être préservées. Aujourd’hui elles sont ruinées, détruites depuis  janvier 2011. Il faut remettre sur pied l’éducation, l’économie… En soit le président n’est qu’un fonctionnaire, une figure.

Je porte beaucoup d’espoir dans le partie Al Dostour, portée par El Barrei, qui a un discours qui est celui du rassemblement, du progrès et de l’ouverture.

TI : Que pensez-vous du discours des pays étrangers qui se déclarent « inquiets » par le comportement de l’armée égyptienne ?

DH : Il y a deux choses qui m’énervent profondément. C’est d’abord le regard des pays européen qui parlent de « coup d’état ». Ils ne comprennent rien aux mécanismes de la rue. Les médias traitent avec superficialités de ce qui se passe en Egypte, c’est déformé. J’accepte qu’on émette des réserves, ou un avis, mais qu’on dénonce un « coup d’état »… Ce n’est pas l’armée qui était dans la rue.

Ensuite, la position des Etats-Unis est très problématique. Ils s’expriment comme s’ils étaient nos pourvoyeurs de vie ! Ils n’apprécient pas que les choses se soient passées différemment de leurs attentes. Ils avaient investi dans les frères musulmans, en apportant leur appui moral et financier. Aujourd’hui ils menacent de retirer leurs aides. Mais nous, on n’a pas besoin d’eux !

 

Propos recueillis par Marine Astor