Comment l’anesthésie perturbe la perception de soi ?

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Les chercheurs ont montré que l’anesthésie d’un bras modifie l’activité du cerveau. Photo / Crédit INSERMDes chercheurs de l’Inserm de Toulouse se sont penchés avec intérêt sur les illusions vécues par de nombreux patients sous anesthésie régionale. Dans leur travail, les chercheurs ont montré que l’anesthésie d’un bras modifie l’activité du cerveau et altère rapidement notre façon de percevoir notre propre corps.


Depuis quelques années, la recherche en neurosciences a montré que le cerveau est une structure dynamique. C’est grâce à l’existence de ses propriétés plastiques que des phénomènes tels que l’apprentissage, la mémorisation ou la récupération après une agression cérébrale sont possibles. Cependant, cette plasticité cérébrale n’a pas toujours un rôle bénéfique.

Par exemple, certains patients amputés ressentent des douleurs chroniques, dites de « membre fantôme », comme si le membre disparu était encore présent. Ces illusions de « membre fantôme » sont liées à l’apparition au sein du cerveau de représentations inadaptées du segment du corps disparu. Or, les personnes qui subissent une anesthésie régionale décrivent ces mêmes images faussées.

 

Forts de ces constatations, les chercheurs de l’Inserm ont voulu savoir si l’anesthésie, en dehors de sa fonction première, pouvait être à l’origine de phénomènes analogues au niveau cérébral. Dans ce cas, elle pourrait constituer un nouvel outil thérapeutique capable de moduler l’activité du cerveau.

Une équipe dirigée par Stein Silva a donc suivi 20 personnes devant subir une anesthésie du bras avant une intervention chirurgicale. Des images 3D de mains sous différents angles de vue leur ont été soumises et leur capacité à reconnaitre une main droite d’une main gauche a été évaluée. Leurs performances reflétaient l’effet de l’anesthésie sur leur capacité à se représenter un schéma corporel correct.

 

A partir de ces tests, les chercheurs ont observé trois phénomènes :

– Tous les patients décrivent des sensations illusoires de leur bras (sensation de gonflement, différence de taille et de forme, posture imaginée)

– D’une façon générale, les patients sous anesthésie sont beaucoup plus lents à reconnaitre une main gauche d’une main droite et font beaucoup plus d’erreurs que ceux n’ayant pas subi d’anesthésie.

– De meilleures performances sont associées à la possibilité de voir le membre anesthésié.

 

En d’autres termes, l’anesthésie d’une main modifie l’activité du cerveau et altère rapidement notre façon de percevoir le monde et notre propre corps. Les chercheurs poursuivent actuellement leur travail pour caractériser précisément les régions cérébrales impliquées (imagerie cérébrale fonctionnelle). Dans l’avenir, ils espèrent également utiliser l’anesthésie à des fins thérapeutiques en modulant la plasticité post-lésionnelle (douleurs chroniques chez des patients amputés, amélioration de la récupération des cérébrolésés). Pour Stein Silva, anesthésiste, chercheur à l’Inserm et principal auteur de l’étude, il faudra surement « développer des techniques d’anesthésie nouvelles qui permettront d’inhiber ou de stimuler directement des représentations cérébrales impliquées dans les phénomènes douloureux»