Municipales 2014 : Les bronzés font des sondages

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À chaque élection c’est la même chose, nous avons droit à une avalanche de sondages. Si ces derniers étaient faits correctement cela pourrait être intéressant mais généralement, il y a de tels biais dans la méthodologie que ces sondages qui font la une des médias sont du travail bâclé d’amateur, des sortes de fast-sondages. Et que dire des journalistes qui reprennent en cœur ces torchons et construisent des explications reposant sur du vent ? Le dernier sondage relatif aux Municipales à Toulouse ne déroge pas à cette règle de médiocrité. Petit tour d’horizon.

 

Mode de recueilune part importante de la population ne peut pas être interrogée. Généralement le recueil des données se fait par des appels au domicile des personnes interrogées. Ne pas posséder de téléphone fixe est donc éliminatoire. Tout comme le fait de ne pas être à son domicile aux heures où les enquêtes sont réalisées. Ne parlons pas de ceux qui ne veulent pas répondre ou de ceux très nombreux qui sont indécis. Au final la majorité de la population n’a aucune chance d’apparaitre dans ces sondages, les résultats présentés étant une extrapolation des réponses d’une minorité forcément non-représentative.

Temporalité : que vaut un sondage effectué 5 mois avant l’élection sachant qu’aucune proposition n’a encore été faite, que la campagne n’a pas commencé et que les Toulousains ne s’intéressent pas encore à ces échéances, voire ne connaissent pas les candidats ? Il est beaucoup trop tôt pour espérer recueillir une information valable, ne serait-ce qu’une tendance générale. N’oublions pas que la majorité des personnes se décide à la fin de la campagne électorale, voire le jour du vote.

L’échantillon : il s’agit de la population que l’on interroge. Elle est dans cette enquête de 704 personnes, sur une population inscrite sur les listes électorales à Toulouse d’environ 250.000 (0,28%). Ce sondage utilise la méthode des quotas qui consiste à diviser la population en divers groupes (âge, sexe, etc) et à interroger des membres de chaque groupe et sous-groupe et à les considérer comme représentatifs. À cause de la stratification par canton, on arrive au maximum à une population de 30 à 50 personnes étant à chaque fois, sensée représenter tout un canton (il y a 15 cantons à Toulouse). Cela fait au plus 25 hommes et 25 femmes, divisés eux aussi en 5 classes d’âge et plusieurs catégories socioprofessionnelles. Cela veut dire que dans la majorité des sous-groupes une seule personne a été interrogée. Cela fait vraiment trop peu de personnes interrogées pour pouvoir extrapoler. L’illusion de masse obtenue en additionnant toutes ces micro-populations ne permet pas d’apporter une correction (le nombre compense et relativise les exceptions), mais au contraire exacerbe les différences. L’échantillon est donc beaucoup trop petit pour une méthode aussi sélective. Il est impossible dans ces conditions d’obtenir des données étant un minimum fiables.

Une solution aurait été de trouver un territoire représentatif de l’ensemble de la ville (un ou plusieurs cantons ou quartiers) et de se concentrer uniquement sur cette zone, afin de garantir un minimum acceptable de personne dans chaque sous-catégorie.

Où sont les votes blancs, nuls et l’abstention ? Le tableau récapitulatif présente les pourcentages des résultats exprimés. Cette terminologie indique donc qu’une partie des personnes interrogées a déclaré s’abstenir, voter blanc ou nul, ou être indécis. Pourtant la proportion de personnes ne s’étant pas exprimé n’apparait nulle part. Quelle est alors la robustesse de ce sondage en terme de pronostic ? L’addition de l’abstention et des votes nuls étant au minimum de 25% lors d’une élection, nous pouvons estimer qu’au moins 25% des personnes interrogées ne se sont pas prononcé, ce qui ferait passer l’échantillon de 704 à environ 500. Cela est très problématique de ne pas indiquer le taux de non-réponse, la solidité des résultats du sondage étant différente selon que 5% des personnes ne répondent pas ou 50%.

Le vrai enjeu de cette élection sera la participation, chaque camp devant mobiliser au maximum. L’abstention de sanction pourrait pénaliser dès le premier tour, mais aussi empêcher certains reports pour le deuxième tour. Il s’agit d’une dynamique qui a clairement marqué les élections précédentes. Elle est pourtant totalement absente des résultats de ce sondage. La non possibilité de mesurer l’abstention est très problématique. A Toulouse, elle concerne en effet fortement les plus jeunes, qui sont l’électorat où les partis de gauche donnés gagnant font leurs meilleurs scores.

Population toulousaine : Toulouse a clairement une population atypique, avec une grande mobilité et un arrivage incessant de nouveaux habitants. Ces derniers viennent du grand sud-ouest, mais aussi du nord de la France, avec de nombreux Bretons, Normands, Parisiens. Ces personnes auront du mal à juger des bilans et des candidats qu’ils ne connaissent pas  (aucun candidat n’ayant de stature nationale). Il y aura donc chez cette population mouvante et en partie de passage, un mélange entre des considérations nationales très fortes et des propositions locales précises sur une thématique qui les touche directement. Toulouse est sans doute la ville de France où le scrutin sera le moins marqué par des considérations locales. La pyramide des âges de notre ville est également incroyable avec une moyenne d’âge inférieure à 30 ans. En conséquence de ces deux phénomènes en partie liés (le contraire du sud-est où les retraités vont mourir, à Toulouse des jeunes couples viennent faire des enfants), moins de 57% des Toulousains sont inscrits sur les listes électorale (72% en France, soit -15). De nombreux toulousains adultes ne sont pas en capacité de voter ici, ils sont tout de même potentiellement interrogés par les sondeurs. Ils ont toutefois la possibilité de s’inscrire sur les listes électorales locales, mais il est très difficile de prévoir le vote de ces migrants, d’où une certaine témérité des partis de gauche qui poussent aux inscriptions. Au maximum de la participation (2ème tour des Présidentielles), seuls 42% des Toulousains s’expriment lors des élections, cela devrait faire redoubler de prudence les sondeurs et les commentateurs quant à l’utilisation des « résultats » des sondages.

 

Il y a donc des biais très importants dans ce sondage qui rendent toute analyse extrêmement délicate. Cela ressemble plus à une étude de sympathie que l’on extrapole en sondage électoral. Pour garder un esprit critique, on peut se rappeler que dans ce type d’enquête de sympathie les Verts obtiennent habituellement de très bons scores, aux antipodes de leurs résultats électoraux. La sympathie ne se transforme pas automatiquement en vote favorable, le vote étant en effet loin d’être le fruit d’un processus cognitif. Certains auraient donc grandement tort de se réjouir trop tôt à partir de résultats obtenus n’importe comment. Au final les sondages c’est comme la viande, il faudrait en consommer moins, mais de meilleure qualité.

 

Chronique signée par Julien Faessel, ancien secrétaire d’Europe Ecologie les Verts à Toulouse que vous retrouverez un jeudi sur deux sur Toulouse Infos ou sur son blog http://julienfaessel.wordpress.com/.