Européennes : Une élection « incompréhensible » et « jouée d’avance »

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Votez pour une autre Europe ! Envoyez un message au gouvernement ! Avec des élus de notre parti, les choses vont changer ! Nos candidats à nous ils sont motivés, compétents, intelligents, intéressés, au courant, au chômage, copains avec machin ou truc… Et oui, les élections européennes approchent.

 

A un peu moins d’un mois des élections européennes, les différents partis partent à la pêche aux voix pour ce scrutin qui n’intéresse pas grand monde. Les électeurs boudent traditionnellement cette élection au scrutin complexe et aux conséquences obscures au niveau de la législation. Les élus français, eux, boudent traditionnellement les hémicycles de Strasbourg et de Bruxelles. Ils vont même jusqu’à attaquer la présence du Parlement Européen à Strasbourg, histoire de brouiller encore un peu plus l’image de cette institution alors que ce lieu avait été choisi pour symboliser le rapprochement franco-allemand, et où le complexe immobilier neuf a couté des centaines de millions d’euros au contribuable. L’hémicycle de Bruxelles, lui, tombe en ruine et nécessitera probablement de belles sommes pour être reconstruit ou remis en état.

Le poids numérique des élus français, moins de 10% du total, va lui dans le sens d’une réalité d’un manque de poids dans la décision, ce qui n’est pas très vendeur. Les particularités locales de certains pays font qu’il y a également des dizaines de députés européens élus grâce à des voix achetées avec des espèces sonnantes et trébuchantes. Le sud de l’Italie, et certains pays de l’est sont notamment fameux pour souffrir du poids de ces pratiques. Et l’augmentation de la pauvreté ne fait probablement que renforcer ce phénomène. Le système de lobbying à l’oeuvre à Bruxelles qui mobilise autour de 20.000 lobbyistes chargés de convaincre par divers moyens les députés de tous bords permet de bien comprendre la réalité de cette institution. Probablement plus qu’ailleurs, il s’agit réellement d’un lieu où l’argent joue un rôle de premier plan et peut avoir une influence très importante. Le principal intérêt de nombreux futurs (ré)élus français est d’ailleurs à chercher ici. La rente européenne n’est pas déplaisante.

Avec une base de plusieurs milliers d’euros sans contrainte aucune, plus une prime de présence qui récompense d’un montant équivalent les courageux qui ont signé le registre de présence (d’où la pratique de l’aller-retour express), le Parlement Européen permet de maintenir au chaud des battus d’élections précédentes, des chefs de parti qui ne réussissent pas à se faire élire ailleurs, des amis, des maris et des femmes, des concurrents de parti à envoyer poliment aux oubliettes. Cela permet accessoirement de mettre des sous de côté en vue d’une élection « sérieuse », la présidentielle par exemple. On se souvient qu’en 2012, trois députés européens étaient candidats au poste suprême (Eva Joly, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon), et ils sont tous les trois en lice pour un nouveau mandat européen. Et ils ont tous les trois continués d’encaisser assidument le chèque pendant qu’ils étaient candidats en 2012…

 

« Il n’y aura pas de surprise »

Au-delà de ces petites considérations matérielles, le gros problème de cette élection est que  personne ne comprend comment est défini le nombre d’élus de chaque liste (comme je suis très sympa je vous renvoie vers cet article, si vous avez une demi-heure à essayer de chercher à commencer à comprendre). En plus, on connait le résultat global avant le vote des électeurs. En effet, certains pays sont extrêmement stables au niveau de la répartition des élus qu’ils envoient, soit à cause de régularités de vote, soit à cause du système électoral en vigueur. Dans les gros pays, il n’y a pas de surprise, les proportions entre les différents groupes politiques sont souvent très stables. Entre les eurosceptiques farouches anglais et polonais, les conservateurs à l’ancienne allemands, espagnols, français et italiens, quelques libéraux par-ci par-là, et un PS européen qui a décidé de ne plus être de gauche, on sait à l’avance qu’il n’y aura pas de surprise et quel bord politique sera prédominant. Dans ce contexte, ceux qui vous diront qu’avec eux ça changera, soit ne sont pas au courant, soit mentent effrontément.

 

« Cette élection est réservée aux partis politiques »

Au niveau Français, tout le monde attend une victoire du FN. Il est évident que l’extrême-droite profite de l’abstention, sa dynamique actuelle lui permettant de garder son électorat mobilisé. Le PS pourra probablement limiter la casse grâce à Manuel Valls, qui est pour l’instant encore populaire, et à la stratégie hypocrite de critiquer l’austérité en Europe, tout en l’appliquant en France. L’UMP a de grandes chances de conserver son gros groupe d’élus grâce à sa stratégie habituelle d’union, ce qui dans un scrutin à un tour fait des merveilles même avec un score assez faible (comme en 2009 par exemple). Mais la surprise devrait venir des centristes. Le retour de Bayrou sur le devant de la scène grâce à sa victoire aux municipales permettra sans doute aux listes Modem-UDI de dépasser 10% partout.

Au contraire, les listes vertes risquent d’accuser le coup. En effet, le retrait de Dany Cohn-Bendit prive les Verts de leur seul leader charismatique et efficace en campagne électorale. José Bové, qui est aussi à l’aise à l’oral que Pierre Cohen, et qui a comme lubie l’extermination des loups (un programme politique de haute volée, surtout pour quelqu’un qui se prétend écolo…) ne tient pas la comparaison avec l’ancien leader étudiant. Les Verts pourront toutefois probablement sauver au moins un élu par eurorégion (peut-être deux à Paris), grâce à l’abstention qui frappera davantage les gros partis, et au vote coutumier de leur socle électoral.

Le Front de Gauche n’a pas su gérer sa bonne campagne présidentielle de 2012 et la dynamique est aujourd’hui clairement cassée. Il a toutefois finalement réussi à se rabibocher tant bien que mal pour l’occasion, et il pourra probablement lui aussi franchir la barre des 7% un peu partout, et ainsi avoir à chaque fois un élu. Mais un risque pèse toutefois sur les communistes du fait de leur habitude de se présenter divisés. Le NPA, qui avait fait un gros score en 2009, est mené cette fois par Olivier Besancenot et fera des voix qui pourront manquer au Front de Gauche. Comprendre pourquoi les communistes ne réussissent pas à s’allier est un grand mystère. Pourtant en 2009 une union FDG-NPA aurait amené à ces partis plusieurs élus en plus, aux dépens de l’UMP. À croire que les communistes n’ont pas compris la logique du système électoral complexe de cette élection européenne. Ils ne connaissent peut-être pas non plus la chanson populaire « el pueblo unido jamas sera vencido ».

Enfin, il est peu probable que les autres listes réussissent à peser. Aucune petite liste n’a de dynamique suffisante pour mobiliser l’électorat, et la question financière est extrêmement pénalisante. En effet, pour imprimer les professions de foi, les bulletins de vote, les affiches, il faut au moins 100.000€. Ceci peut aussi expliquer la désaffection de l’électorat. Cette élection est réservée aux partis politiques, les citoyens ne sont pas invités à participer, sauf éventuellement ceux pouvant débourser au moins 100.000€, mais ils ne courent pas les rues.

 

Chronique signée par Julien Faessel, ancien secrétaire d’Europe Ecologie les Verts à Toulouse que vous retrouverez un jeudi sur deux sur Toulouse Infos ou sur son blog .