Municipales : A Toulouse, Pierre Cohen a fait tout ce qu’il ne fallait pas faire

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Et voilà, c’est fini. Certains diront qu’ils ne s’étaient pas vraiment rendu compte que ça a avait commencé. Et c’est peut-être cela qui provoque ce soulagement d’être enfin débarrassé de cette grande farce qu’ont été ces élections municipales. Jamais nous n’avons pu assister à une telle platitude pour l’élection locale qui intéresse le plus la population…

 

Entre des maires sortants refusant tout bonnement de débattre avec les autres candidats (se croyaient-ils divinement investis ?), des programmes électoraux trop souvent au ras des pâquerettes et déconnectés des préoccupations de la population, des médias aux ordres et étant parfois plus intéressés par le scoop de caniveau que par le traitement équitable des candidats, des sondages vendus comme argent comptant mais ne valant pas le papier qui les hébergeait, tout était réuni pour que ces élections municipales de 2014 soient un fiasco, à tous les niveaux. Et cela n’a pas loupé, l’abstention a battu des records, sans que cela ne semble provoquer de réelle réaction des partis politiques, alors qu’il s’agit bien évidemment d’une abstention de rejet d’une offre dépassée. À coté de cela, l’extrême droite a gagné quelques pauvres villes, généralement grâce à l’incompétence et l’amateurisme de leurs adversaires locaux. La palme de la crétinerie peut à cette occasion être décernée à la gauche de Mantes-la-Ville qui a maintenu 2 listes lors de la quadrangulaire du deuxième tour, ce qui a permis au FN de prendre la ville avec 30,3% des voix exprimées. Au final, l’extrême droite réalise des scores particulièrement minables au vu du boucan médiatique de ces derniers mois, ne dépassant 50% des voix que dans 3 communes (sur 36.000).

 

Un PS pépère, rassasié jusqu’au cou

Le principal enseignement de cette élection est probablement que pour l’élection municipale, le climat local reste prédominant. Comment croire en effet à une dynamique nationale pour l’UMP embourbée dans une guerre de succession qui n’en finit pas, le tout sur fond de lourds soupçons de corruption généralisée de la direction parisienne ? Le PS paye davantage son incapacité à se renouveler, son clanisme local, que la politique nationale du gouvernement, qui s’il est d’une maladresse inouïe, est toutefois probablement le plus honorable depuis des décennies (certains diront que ce n’est pas forcément très difficile). Le PS a surtout souffert d’une démobilisation de ses troupes militantes et sympathisantes (celle des électeurs étant une conséquence directe). Les cadres socialistes se sont embourgeoisés, ils se sont coupés de leurs troupes et déconnectés de la réalité et de la population. En face, la droite à pu compter sur le soutien hyperactif du gouvernement pour lui fournir des cohortes de militants énervés, et donc motivés à bloc pour en découdre. Un PS pépère, rassasié jusqu’au cou a donc été balayé par une droite « de combat » (pour reprendre les expressions à la mode), affamée et active sur le terrain. Une fois n’est pas coutume, je ne peux que rejoindre le vieux briscard du Conseil Général 31 lorsqu’il dit : « Quand l’emploi et l’économie constituent la priorité numéro 1 des Français, le gouvernement a précipité la réforme de la décentralisation, le Mariage pour tous. Dans ce dernier cas, il s’agissait d’une promesse de François Hollande, mais y avait-il vraiment urgence ? En politique, on appelle cela faire diversion, mais ça n’a pas fonctionné. Au contraire, cette agitation que n’ont pas comprise nos concitoyens a accentué leur inquiétude. Et leur rancune… ».  Vouloir faire passer en force certaines mesures conflictuelles, plutôt que d’attendre un moment propice (une fenêtre d’opportunité, pour reprendre le jargon sociologique) où la même mesure passerait comme une lettre à la poste, est réellement le meilleur moyen de renforcer son adversaire, Sarkozy n’aurait pas fait mieux (et pourtant c’est un expert pour se mettre tout le monde à dos). Au final l’action gouvernementale peut expliquer la mobilisation à droite, mais pas forcément la démobilisation à gauche. Lorsque l’élection ne se joue pas dans un mouchoir, la cause du résultat est donc à chercher localement. La bonne tenue des socialistes à Paris, Lyon, Nantes ou Strasbourg va dans le sens qu’une équipe pouvant s’appuyer sur un bilan et étant appréciée de la population n’a pas grand chose à craindre d’un gouvernement ayant une mauvaise image.

 

Un Chirac tranquille contre un Sarkozy énervé

Au niveau local, à Toulouse en particulier, le PS a perdu comme un grand, tout seul. Théoriquement, il était impossible à Jean Luc Moudenc de gagner cette élection. Ca serait un peu comme si Bordeaux passait à gauche… Et pourtant cela fait bien un petit moment que le basculement apparaissait comme de plus en plus probable. Tous les indicateurs structurels allaient en ce sens. Pierre Cohen a fait tout ce qu’il ne fallait pas faire, avec une régularité de métronome. Sa démocratie de proximité a été une farce qui a provoqué de la méfiance dans les quartiers, où il était très attendu après 2008 et où la déception a été très forte. Son équipe municipale arrogante a engendré du rejet chez les personnes actives dans le milieu socio-associatif. Son incapacité à dialoguer sereinement l’a fait passer pour un petit dictateur, provoquant moult incidents au sein de sa majorité municipale (quel spectacle pitoyable pendant 6 ans, le refus d’accorder une place à la liste Selin entre les deux tours étant la dernière touche d’un tableau minable), mais aussi avec les employés (une grève de Tisséo 3 jours avant le premier tour, la cerise pourrie sur un gâteau d’autoritarisme) ou avec les habitants. Sur ce dernier point, le projet de BHNS (totalement inadapté et surtout un reniement fort d’une grande promesse de 2008, à savoir un tramway) a réellement donné le coup de grâce à une méthode de travail et de gestion brutale. C’est là le point important, les socialistes ont été punis pour leur mauvaise méthode, leur façon violente de gouverner la ville en imposant constamment leurs choix et en privant les partenaires de dialogue. Le fait établi n’est pas constructif.

En face, Jean Luc Moudenc avait un boulevard pour se présenter comme rassembleur, à l’écoute, à la tête d’une droite unie. Le décalage était d’ailleurs flagrant lors du débat d’entre deux tours où Pierre Cohen a été littéralement laminé, en bafouillant, en enchainant des sigles incompréhensibles du grand public (PLU, PDU, etc), en étant narquois pendant les prises de parole de son adversaire. On aurait dit un Chirac tranquille contre un Sarkozy énervé. Pierre Cohen comptait sur son bilan, il aurait été sage de le défendre correctement. Ce bilan était clairement insuffisant, mais il n’était pas à jeter pour autant. La grande erreur de l’équipe socialiste a été de ne pas s’appuyer fortement sur les quelques réalisations du mandat (qui ont visiblement plu aux riverains, au vu des résultats par bureau de vote), et par extension de ne pas proposer de projet pour 2014-2020. Même si 2008-2014 aura été un mandat assez faible en terme de projets visibles, cela aurait pu être justifié, au pire en usant de mauvaise foi. Il s’agit là d’une ficelle que les socialistes locaux ont à leur arc et dont ils n’hésitent pas à se servir. En définitive, le Cohen 2014 restera un bel exemple de sabordage politique. Et un curieux mélange entre un Jospin de 2002 froid et sous-estimant son adversaire, un Juppé de 1997 droit dans ses bottes et rigide jusqu’à la cassure, et un Sarkozy de 2012 totalement déconnecté des réalités et autiste au milieu de sa cour de flatteurs. Il aurait voulu faire exprès de perdre, pas sûr qu’il y soit si bien arrivé.

Malheureusement, je doute que cette débâcle des socialistes n’amène une purification salutaire en leur sein, avec un replacement à gauche via un éloignement des théories fumeuses des populistes libéraux, et une attitude plus humble de ses membres. Au contraire, il ne s’agit probablement là que d’une étape dans la désintégration de ce parti, qui suivra alors le chemin de ses camarades européens, et ne survivrait pas à sa droitisation et son embourgeoisement.

 

Chronique signée par Julien Faessel, ancien secrétaire d’Europe Ecologie les Verts à Toulouse que vous retrouverez un jeudi sur deux sur Toulouse Infos ou sur son blog .