Laure Durand démissionne du PS. Sa lettre à Cambadélis

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Laure Durand démissionne du PS. Photo / Crédit Laure Durand

Après Sébastien Kinach avant l’été, le parti socialiste toulousain perd une autre de ses figures avec la démission de Laure Durand, conseillère nationale du PS. Voici la lettre qu’elle a adressée à Jean-Christophe Cambadélis.

 

Cher camarade, cher Jean-Christophe,

Profondément de gauche mais volontairement non encartée jusqu’en 2007, j’avais pris ma carte au PS le soir de l’élection de Nicolas Sarkozy ; je la rends aujourd’hui, au lendemain du vote de confiance qui permettra à un Premier Ministre issu des rangs socialistes d’en continuer la politique, injuste et inefficace.

Tu as exhorté toi-même les « frondeurs », et, d’une certaine manière l’ensemble des militant-es en désaccord total avec cette politique, à se mettre « dehors ». En effet, contrairement au « rappel » que tu as prétendu faire dans la presse, rien dans nos statuts n’indique qu’un député qui voterait contre la confiance serait immédiatement déféré devant la commission des conflits pour exclusion.

 

Mais ce mensonge est une vérité.

Car, qui pourrait t’incriminer de cette énième et dérisoire tromperie, si ce n’est ta conscience ? Tu es là pour cela. Pour réussir habilement ce que ton prédécesseur avait raté : « Remettre le parti au travail », entendre : au travail de défense sans distinction de la politique gouvernementale, qui est aux antipodes de ce qu’elle devait être.

Celles et ceux qui se trompent, en réalité, ce sont les militantes et militants qui croient sincèrement que le PS est un parti de transformation sociale et qui s’accrochent à l’idée flottante d’en choisir l’orientation politique et économique. Tout au plus devraient-ils applaudir à la réaffirmation verbale de notre attachement au code du travail, au principe de la sécurité sociale, à l’idée de la République ? Elle est là, désormais, la ligne de flottaison du parti socialiste ? En réalité, la majorité des membres du Parti Socialiste a renoncé depuis longtemps à « changer la vie » préférant déployer de maigres parapluies pour « passer entre les gouttes » selon les mots de François Mitterrand. François Hollande, qui ne s’embarrasse pas de quelques franches saucées, n’a même plus ce souci. Du Parti Socialiste, il aura été le dernier fossoyeur. Sans conteste.

Passons sur les dix années pendant lesquelles François Hollande a amolli le parti, sa doctrine, l’esprit critique et la formation de ses cadres et militant-es. Passons sur l’élection de Nicolas Sarkozy à laquelle le parti qu’il dirigeait alors, aura contribué à sa façon. Passons sur les 61% de militant-es socialistes qui ne lui avaient pas accordé leur confiance lors du premier tour des primaires (quand on y songe !) pour porter les couleurs de la gauche progressiste à l’élection présidentielle…

Passons sur tout cela ; mais nous pourrions revenir aux conventions sur lesquelles nous avions collectivement beaucoup travaillé ! Revenons au programme qui en reprenait sinon la lettre, du moins l’esprit ! Revenons enfin au discours de la victoire, au Bourget, et au pacte moral passé avec les Français-es !…

Il aura suffi de deux petits mois seulement après l’élection, pour que le véritable visage de ceux qui nous gouvernent, réapparaisse. Nous avons été nombreuses et nombreux à comprendre rapidement ce qui se passait. Notamment lorsqu’en plein été, s’est constituée cette motion majoritaire, alliage de la carpe et du lapin, qui, pour quelques postes dérisoires à la clé (à quoi sert le pouvoir si l’on ne s’en sert pas ?), a renforcé l’omerta d’une part, la catastrophe politique d’autre part.

Pendant deux ans j’ai argumenté face à mon proche entourage, notre électorat classique : ami-es et famille de gauche, des personnes hautement éduquées, fonctionnaires pour un grand nombre, avec des gènes de Républicains espagnols pour beaucoup…

J’ai argumenté pour expliquer pourquoi il était important de rester dans le parti, de ne pas déserter, de mener les luttes auprès des camarades ; j’ai argumenté pour qu’ils cessent de me dire, quasiment à l’unanimité, qu’ils avaient voté socialiste en mai 2012 « pour la dernière fois de leur vie ». En vain. Et aujourd’hui, les faits sont têtus. Continuer de s’aveugler autour de l’idée d’une recomposition en interne pour un sursaut devant l’Histoire n’est plus possible.

Je démissionne donc de mes mandats locaux et de mon mandat national. Car, comment continuer en effet de cautionner, par le simple fait de peupler les théâtres que sont les conseils fédéraux et les conseils nationaux, le soutien à une politique d’austérité, en phase avec des traités que le peuple ne cesse de rejeter depuis 2005 ? Comment défendre une politique de l’offre fantasmagorique quand il n’y a aucune politique de la demande ? Comment défendre, en se regardant dans la glace, 8 € d’augmentation sur les petites retraites, pris sur le budget autonomie, contre 40 milliards d’aides sans contre-partie aux entreprises ? Comment défendre la hausse de la TVA, impôt le plus injuste socialement, quand aucune réforme de la fiscalité n’est entreprise ?

Comment défendre un Ministre de l’Emploi qui vilipende les chômeurs tout en acceptant qu’il y ait de moins en moins d’inspecteurs du travail et de plus en plus de chantage au code du travail, aux emplois délocalisés, le tout sur fond de fraude patronale équivalente à 20 milliards ?

Comment défendre un Ministre du Budget, qui coupe les ressources des collectivités territoriales à coups de serpe, avec les conséquences dramatiques que l’on sait pour l’éducation, la formation, l’aide sociale, l’égalité sur les territoires et qui, s’il ne s’appelle plus Jérôme Cahuzac, reste cependant bienveillant avec les fraudeurs fiscaux qui ponctionnent le budget de l’Etat de 60 milliards d’euros ?

Comment défendre les reculs de Pierre Moscovici, lorsqu’il était Ministre de l’Economie et des Finances, devant la loi de séparation bancaire, la Taxe Tobin ou encore l’Union bancaire sur le plan européen, et approuver aujourd’hui sa nomination en tant que commissaire d’une institution, qui, à la solde des lobbys et des banques rapaces, dicte sa politique à la France et contribuera à étouffer sa population comme elle le fait toujours en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Italie ? La liste est tellement longue que l’on pourrait en faire un almanach élyséen.

 

Et le parti socialiste devrait défendre cela ?

Le parti ne veut pas et, pire, ne peut pas, sociologiquement, politiquement, faire émerger le ferment d’une force progressiste capable d’agréger et l’électorat écologiste, éco-socialiste, communiste, nouvelle-donniste et l’électorat populaire dépolitisé et tenté par l’abstention ou le vote FN (ce qui revient au même).

L’implication au niveau local, à Toulouse, m’a malheureusement confortée dans ces mêmes conclusions douloureuses. Peu de politique, beaucoup de politicaillerie. Serrer les coudes, faire le dos rond. Se taire, attendre que l’orage passe. Même en pleine période d’investiture interne lors des dernières Municipales, nous étions peu à exprimer tout haut ce que nous étions pourtant si nombreux à penser tout bas, au sujet de la politique nationale qui menait le parti, et, plus grave, le pays, dans le mur ; je n’ai jamais renoncé à dire la vérité, qu’on ne me fasse pas de faux procès. Si ces prises de parole avaient dû me coûter ma place sur la liste de Pierre Cohen, je ne les aurais pas retenues pour autant. Et je regrette même que certains n’aient pas osé rompre dans les médias avec le légitimisme au parti, pour assumer le positionnement solidement ancré à gauche et auquel je rendrai toujours hommage, et qui guida pourtant leur action pendant six ans à la tête de la 4ème ville de France.

Malgré tout, j’ai pu rencontrer de nombreux camarades pour lesquels j’éprouve une vraie amitié ainsi que quelques camarades sincères, passionnés, intéressants. Mais, acceptons-le clairement, on ne peut pas gagner quand les règles sont faites pour vous faire perdre. A mon modeste niveau, j’acte aujourd’hui le fait d’avoir perdu. Du temps et de l’énergie surtout.

Je m’emploierai désormais à les mettre ailleurs car la politique est partout dans la cité Restant plus que jamais socialiste, je suis certaine que nous nous retrouverons, avec certains de ces camarades, qu’ils demeurent la caution du parti ou qu’ils sortent, « dehors », pour construire ce dont le pays a besoin.

Amitiés socialistes,

Laure Durand

 

C de P