Génocide rwandais : « les juges sont déterminés à faire avancer les dossiers des génocidaires »

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Ce dimanche, la Diaspora Rwandaise de Toulouse commémorera le massacre des Tutsis en 1994. Parallèlement, cette semaine, des évènements importants ont remis en lumière le génocide qui a fait près d’un million de morts il y a 19 ans. Dans un premier temps, le renvoi devant les assises de Paris d’un ancien militaire des forces armées génocidaires. Mais aussi l’interpellation mercredi à Toulouse de Tito Barahira. Une actualité quelque peu occultée par les révélations de Jérôme Cahuzac.

 

L’arrestation de Tito Barahira le montre bien. Cette semaine marque une étape primordiale pour les victimes : la justice passe à la vitesse supérieure. Ancien bourgmestre (équivalent du maire en France) de Kabarondo, Barahira est directeur d’Electrogaz en 1994. Soupçonné d’avoir participé aux massacres de cette ville de l’est du pays, il fait l’objet depuis deux ans d’une plainte déposée par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), association qui enquête sur les présumés génocidaires. « Je me suis rendu sur place, ce qu’on fait pour chacun des dossiers, explique Alain Gauthier, président du CPCR. A Kabarondo, on a récolté beaucoup de témoignages contre lui ». Arrêté une première fois et incarcéré à Seysses, Tito Barahira est rapidement remis en liberté sous contrôle judiciaire. « Ces arrestations sont souvent provisoires », ajoute Alain Gauthier. Alors pourquoi une nouvelle arrestation ? « On est dans le domaine de l’hypothétique, précise le président du CPCR. Mais il s’agirait d’un mandat d’amener. En général, cette décision est prise par les juges quand la personne ne répond pas à une convocation ». Malgré cette interpellation mercredi, le procès de Barahira n’est pas pour tout de suite. Les juges d’instructions doivent en effet vérifier la véracité des témoignages. « Pour lui, ça peut prendre encore du temps, affirme Alain Gauthier. D’autant que son cas n’est pas prioritaire ».

 

Premier procès en France : pourquoi maintenant ?

Pour Pascal Simbikangwa, en revanche, l’heure de faire face à ses responsabilités est bien venue. Pour la première fois en France, un responsable présumé du génocide aura droit à un procès. Arrêté en 2008 à Mayotte où le CPCR l’avait débusqué, l’ancien chef du Service central de renseignement rwandais séjourne depuis en prison. Les juges d’instruction du Tribunal de Grande Instance de Paris viennent de décider de l’envoyer aux assises pour complicité de génocide et de crime contre l’humanité. Il devrait être jugé dans les mois à venir.

Deux questions se posent alors. Pourquoi ce procès si tard, presque 20 ans après les faits ? Et pourquoi ces deux actions chocs à quelques jours des commémorations ? Alain Gauthier n’y voit qu’un hasard du calendrier. Tout comme Laure de Vulpian, journaliste spécialiste des questions de justice à France Culture et co-auteur (avec Thierry Prungnaud) de « Silence Turquoise », un ouvrage paru en septembre dernier sur la responsabilité de la France dans le génocide rwandais. Elle sera samedi à Toulouse, salle Osète-Duranti, pour un débat sur ce thème. « Pour moi, l’arrestation de Tito Barahira n’a aucun lien avec la commémoration mais plutôt avec le Pôle crimes contre l’humanité, créé à Paris il y a 15 mois et qui est maintenant à vitesse de croisière ».

 

« Les juges ont du pain sur la planche »

La création de « pôle de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre », de son nom complet, avait été annoncée en 2010 par Bernard Kouchner et Michèle Alliot-Marie, alors respectivement ministres des affaires étrangères et de la justice. Il repose depuis janvier 2012 au sein du Tribunal de Grande Instance de Paris. Et peut agir grâce au principe de « compétence universelle » : quel que soit le lieu où a été perpétré le crime ou la nationalité des responsables ou victimes, l’Etat peut poursuivre les suspects dans certains cas. « Avant, seuls deux ou trois juges étaient chargés de ces dossiers, mais ils devaient également s’occuper d’autres cas en même temps, explique Alain Gauthier. Ils étaient débordés. Depuis que le pôle est fonctionnel, les choses changent. Les juges ont plus de moyens et sont déterminés à faire avancer les dossiers des génocidaires ». Des juges qui devront gérer une trentaine de cas. « Ils ont du pain sur la planche », ajoute Alain Gauthier.

Cependant, le président du CPCR, dont une grande partie de la belle-famille a été exterminée au Rwanda, reste déconcerté par ces 19 ans de délai de jugement. « Tout le monde se demande pourquoi ça a mis autant de temps. On a pensé, à une époque, qu’il y avait des freins politiques ». Car le constat est là, « le gouvernement français de l’époque, qui était une cohabitation, s’était retrouvé impliqué, précise-t-il. Aucun des deux grands partis n’avait intérêt à ouvrir les procès. Et maintenant, on commence à redouter la disparition des témoins et des suspects ».

 

« Tout génocide engendre sa négation »

Laure de Vulpian s’interroge quant à elle sur l’accueil dans l’hexagone de criminels présumés de génocide. « La France politique et judiciaire a couvert, n’a pas voulu traiter ces dossiers. Pendant presque 20 ans, elle a été un super pays d’accueil, elle n’a pas été très regardante sur les demandes d’asile ». En cause ? De possibles amitiés avec des français hauts placés.

Ce que confirme, à l’échelle de la Ville rose, Julienne Mukabucyana, membre de la Diaspora Rwandaise de Toulouse (DRT). Outre la présence de génocidaires, il existe en effet une communauté hutu à Toulouse qui « ne se cache pas car ces gens savent que la France ne fera rien contre eux. Ils sont parfois même sur la liste des suspects ». Une communauté négationniste qui s’incruste dès que possible dans les réunions et commémorations organisées par la DRT. « Ils affirment que le génocide n’a pas eu lieu, explique-t-elle. Qu’il s’agissait de tueries entre rwandais et que les Hutus ne faisaient que se défendre ». Un négationnisme qui peut paraître impensable mais qu’Alain Gauthier explique. « Tout génocide engendre obligatoirement sa négation, assure-t-il. Je pense que, quand on a commis un tel crime, soit on le nie soit on se tire une balle dans la tête ».

 

Article de Joséphine Durand