Sabrina Sweet : « Tout le monde consomme du porno de nos jours »

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Sabrina Sweet, actrice dans le monde du film pour adulte, sera présente au prochain salon Eropolis qui se déroule à Toulouse les 7 et 8 décembre. Rencontre avec cette actrice d’expérience qui revient sur l’état du métier, sur son parcours et qui prend position sur le mariage gay ou le projet de loi visant à pénaliser les clients des prostituées.

 

Toulouse Infos : Vous avez commencé les films pour adultes à 18 ans, vous allez bientôt fêter vos 12 ans de carrière, comment vous êtes-vous retrouvé à faire ce choix ?

Sabrina Sweet : À la base c’était pour m’amuser, pour découvrir un univers. Je me considérais comme libertine, et c’était une évolution qui me paraissait logique. Je m’amusais dans le libertinage et je me suis dit pourquoi pas devant une camera. À l’époque, ce n’était pas un plan de carrière, juste un moyen de gagner un peu d’argent et de m’amuser. Ensuite, je suis tombée enceinte, et c’est là que je me suis dit que quitte à faire du porno, autant le faire de manière professionnelle. J’ai changé ma manière de travailler et je me suis tourné vers des maisons de production professionnelles pour bien faire les choses. Depuis 12 ans, je tourne en France et à l’étranger : j’ai 1500 films à mon actif. J’ai tourné pour Dorcel, Colmax, Reality Kings, Fred Copula et beaucoup d’autres productions connues avant de monter ma société de production. Pour ce qui est des tournages je préfère être plus sélective et ne choisir que les projets qui me plaisent. Je pense que le plus important à l’heure actuelle est de respecter son corps.

T.I : Être actrice porno, c’est facile à vivre au quotidien ?

S.S : Je suis dans un milieu qui me plait et je suis en phase avec moi même. Le métier est toujours stigmatisant, mais pour ma part, je suis là ou je me sens bien et je ne me vois pas ailleurs. Au début, mes parents l’ont mal pris. Après ce sont des parents, aucun ne veut que leur enfant fasse des films pornographiques, ils ont peur de toutes les MST et voient le milieu comme un endroit dangereux. Sur ce point, en France, on passe des tests tous les 15 jours sur toutes les MST, et le port du préservatif est obligatoire, c’est très encadré. En ce qui concerne mon enfant, je sais qu’un jour ou l’autre il l’apprendra. Mais nous sommes des parents ouverts d’esprit, nous l’aimons et même si je redoute ce moment, j’espère qu’il comprendra.

T.I : C’est un milieu qui vous correspond.

S.S : Je me sens bien, car je n’ai pas non plus tout fait, et j’ai su refuser. J’ai su dire non afin de rester saine d’esprit. Il ne faut pas avoir de regret, il faut étudier les propositions et avoir la force de dire non quand on ne se sent pas capable de le faire. C’est comme pour les amatrices que je forme, je leur explique qu’une fois le pas franchi, il n’y a pas de retour en arrière : famille, copain, enfant, ils le sauront un jour ou l’autre. Il faut donc agir en conséquence et ne pas faire des choses que l’on regrette ou dire oui alors que l’on pense non. Je leur explique aussi de faire attention avec qui elles travaillent, car sur le net il y a 600 boites de productions, alors qu’en vrai il n’y en a qu’une vingtaine. Il faut être accompagné et savoir poser les bonnes questions pour éviter les problèmes. C’est aussi tous ces facteurs qui fait que l’on vit bien sont métier, et c’est aussi ce genre de « piège » qui a long terme, ternissent l’image du milieu.

T.I : Vous tenez une boite de production, Sweet Prod. C’est facile de nos jours en France de se développer dans ce milieu ?

S.S : Ma maison de production a 5 ans. Au départ, on voulait avoir une image plus underground, moi-même étant un peu punk, et sortir de l’image des films très château et dentelle. Malheureusement, ce n’est pas demandé, nous avons donc revu les choses et nous nous sommes adaptés au marché. À la base, je me disais que l’on pouvait faire des choses monumentales, mais le budget n’est pas le même… On fonctionne avec un caméraman, un scénariste et je m’occupe de l’organisation, du maquillage et je gère les lieux de tournage. Nous produisons du film amateur gonzo au film scénarisé avec plus de budgets et des actrices connues. Je suis heureuse que nous soyons toujours là, tenir 5 ans dans le monde du porno est difficile. Beaucoup de boites tentent de se lancer, mais la majorité disparaissent aussi vite qu’elles arrivent. Ce qui est sur est qu’avoir été actrice et avoir un carnet d’adresses dans le milieu m’aide beaucoup.

T.I : Le monde du film pour adulte connaît aussi la crise donc ?

S.S : C’est surtout depuis l’arrivée d’internet. Avant c’était la folie du DVD, mais depuis… Il y a toujours quelques ventes, par exemple le stand à Eropolis où je vends des produits des différentes grandes productions françaises, mais au quotidien les ventes ont chuté et il faut s’adapter au marché virtuel. Sur le net, les sites X gratuits sont incalculables et le nombre de films tout autant. Il faut donc savoir se développer et être un peu partout. Personnellement, nous vendons quelques films en support physique, mais le gros vient des services de VOD sur téléphone ou sur les sites.

T.I : Et pour les actrices, comment ça se passe ?

S.S : Pour ce qui est des filles, avec la crise, c’est aussi plus dur. Il y a 10 ans une fille arrivait, et on travaillait avec elle, on travaillait son image, on la starifiait, alors qu’a présent c’est beaucoup moins le cas. De nos jours, les filles sont plus ou moins interchangeables, sauf pour des gens comme Dorcel qui ont toujours leurs égéries. Et internet a accéléré la chose, il y a beaucoup plus de filles qui viennent et certains justes pour l’argent. Ce qui là encore, comme nous disions plus haut, rend plus difficile pour une fille, qui veut percer, de dire non. Je n’ai pas commencé à la même époque, mais si j’avais débuté aujourd’hui ça aurait été plus compliqué pour percer dans le milieu. Ce n’est pas moins bien, mais ça fonctionne de manière différente.

T.I : Vous serrez ce week-end au salon Eropolis, comment se déroule ce genre de salon ?

S.S : Le salon Eropolis est très agréable. Ce sont des événements classes, conviviaux, avec des choses pour des jeunes de 18 ans comme pour les vieux couples de 80 ans. Il y a des shows sur scène de qualité qui ne sont pas du simple strip-tease, mais plus proche du cabaret.  Il y a aussi des sex-toys, de la lingerie, une buvette, un bar lounge, etc. La partie hot, où se trouvent les actrices pornos, c’est plus chaud, mais ça reste convivial. Sur scène, on se lâche et on s’amuse avec le public, c’est toujours dans un esprit d’amusement et sur le ton de l’humour. Il y a de nombreux moments de franche rigolade aussi bien pour nous que pour le public. Une personne qui va à Eropolis trouvera forcément son bonheur. Dans les loges, nous sommes une grande famille, et à chaque fin de tournée nous sommes tristes de nous revoir que dans 6 mois. Nous sommes loin des images glauques que peut avoir l’inconscient collectif de ce milieu.

T.I : De nombreuses décisions, allant du mariage gay aux interdictions des encres couleurs des tatouages en passant par la pénalisation du client des prostituées font polémique en France, que pensez-vous de ces restrictions qui touchent les milieux alternatifs ? Le porno risque de se retrouver en ligne de mire ?

S.S : Personnellement, je ne comprends pas le souci qu’a provoqué le mariage gay. Ça montre juste que l’on est à des années lumière du temps présent, ce sont des réactions d’arriérés. Je trouve également hallucinant d’aller taxer les clients de prostituées, cela va pénaliser les françaises qui font ce métier et renforcer les milieux mafieux. Ouvrir les maisons closes et faire les choses de manière propre, c’est ça la solution. À l’heure actuelle on frappe sur les prostituées et pourtant on encaisse sans soucis leurs impôts. Ce genre de loi est contradictoire. Ces personnes font un travail comme un autre, elles sont taxées, et on ne leur permet pas de travailler décemment, c’est  schizophrénique. Les encres de tatouages, c’est pareil, je ne comprends pas non plus. La règle de prévention ne rime à rien, faut voir ce qu’on nous fait manger… Je connais beaucoup de personnes tatouées depuis des années qui vont très bien. Au final ce sera comme le tabac ou l’alcool, l’Etat taxera plus et laissera les choses telles quelles. On nous dit que c’est mal, mais on l’autorise tout en l’interdisant. Si on continue ainsi, bientôt on ne pourra plus partir au ski par mesure de précaution.

T.I : Quel est l’avenir du monde du film pour adulte selon vous ?

S.S : Il y en aura toujours, mais la question est sous quelle forme. C’est tellement compliqué à répondre… Je pense qu’il y aura de plus en plus de gratuité. Je ne sais pas si les sites X payants pourront encore exister dans le futur à cause du grand nombre d’amateurs, des sites persos de certaines filles, de la gratuité des contenus sur d’autres sites, etc. Je ne sais pas si dans 10 ans il y aura toujours des sites payants mais la demande sera toujours là. Tout le monde consomme du porno de nos jours, même ceux qui voteront contre le jour où l’Etat venait à l’interdire…

 

Propos recueillis par François Nys