Iryna Tuz : « les gens en ont marre que l’Ukraine soit un grand bazar »

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Alors que les manifestations se multiplient à Kiev rassemblant de plus en plus de monde, nous sommes allés à la rencontre d’Iryna Tuz, représentante du mouvement Euro-Maïdan qui milite pour que l’Ukraine soit l’un des prochains pays à entrer dans la zone européenne. Cette ancienne journaliste, qui a manifesté ce dimanche place du Capitole, nous donne sa vision du conflit.

 

Toulouse Infos : Les manifestations s’intensifient, il y a même eu des violences récemment, mais d’où vient cette volonté pro-européenne ?

Iryna Tuz : Avant tout, précisons que les violences qui ont eu lieu dimanche se sont produites en marge des manifestations. Il faut éviter de faire l’amalgame entre les deux événements, il y a d’un côté un « clash » entre les forces de l’ordre et certains manifestants et d’un autre une manifestation pacifique. La raison la plus importante de ce mouvement est le désir d’Europe du peuple Ukrainien. Le président a freiné le processus d’association qui était prévu afin de se rapprocher de l’Europe. Le rassemblement Euro-Maïdan fait penser en de nombreux point à la révolution orange, même si ce n’est pas le même mouvement. Cet élan européen vient, pour une grande part, du problème de corruption que connaît le pays.

T.I : Quel est le rapport entre l’Europe et la corruption ?

I.T : En ce moment, le peuple n’a plus confiance dans les institutions du pays. La perte de liberté et la corruption y est pour beaucoup. Pour faire un retour rapide, en 2004 s’est déroulée la révolution orange et Iouchtchenko est devenu président pour 5 ans. Pendant cette période, le pays a connu la démocratie avec une grande liberté de la presse, même parfois trop. Au niveau économique, une classe moyenne s’est formée à Kiev. Mais avec la crise, tout s’est effondré et en 2009, Ianoukovitch a obtenu la majorité lors des élections. À son arrivée au pouvoir, il a envoyé son opposante la plus symbolique en prison. Les libertés de la presse furent restreintes et la crise faisant, le niveau de vie a fortement chuté. Pour ce qui est de la corruption, elle est à tous les niveaux. Il n’y a pas de limite franche entre les affaires et la politique. De nombreux oligarques se lancent en politique avec tous les jeux de lobbys et de corruptions qui vont avec.

T.I : D’où l’exaspération des couches inférieures.

I.T : Pour prendre un exemple, les salaires dans l’administration sont de 200/300 euros par mois. A Kiev, le niveau de vie est proche de celui de Toulouse, la corruption est alors devenue un moyen de se faire de l’argent à côté. Il est devenu courant de donner un dessous de table pour obtenir un document. Autre exemple, la santé. Les soins sont normalement gratuits, mais vu le salaire des médecins, pour être soigné proprement il faut là encore passer par la case « pot de vin ». On se demande même parfois si les opérations sont nécessaires ou si c’est pour l’argent. Cela est la même chose pour tous les corps de métier : c’est pour cela que l’on se retrouve à ne plus avoir confiance envers les institutions de l’état.

T.I : Donc pour les manifestants, l’Europe serait là pour faire « le ménage » ?

I.T : Non, mais elle permettrait de donner des valeurs européennes et démocratiques au pays. Il est sûr que rien ne se fera en un claquement de doigts, loin de là, mais rejoindre l’Europe pourrait être une amorce vers l’amélioration. La plupart des gens en ont marre que l’Ukraine soit « un grand bazar ».

T.I : Selon vous, le mouvement est parti pour grossir ou il va s’essouffler ?

I.T : Difficile à dire, et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, il y a une grande campagne de rumeur et de désinformation qui est amorcée dans le pays. On entend de tout, allant des routes coupées pour aller à Kiev en passant par l’arrivée de l’armée dans la ville, sans parler d’une possible intervention de l’armée russe. La première victime, cité comme morte, et toujours en vie et ne cesse de le répéter sur son Facebook photos à l’appui, mais tout le monde ne parle que de sa mort, sans cesse. De plus, les chaines de télévisions et la presse sont muselées, donc seuls ceux qui sont sur place parlent et savent de quoi il en retourne. Il faut aussi loger et nourrir les personnes qui ont convergé vers la capitale, ce qui demande énormément d’organisation. Enfin, il ne faut pas oublier qu’il y a toute une partie du pays qui est pro-russe et le Kremlin refuse de voir le pays partir vers l’Union Européenne. Point positif, des chaines d’informations parallèles se mettent en place afin d’informer le public. Des personnes qui tentent d’être objectives et vont sur le terrain avec des moyens minimums. Ils vont dans la rue et enregistrent avec leur portable des interviews et ce qu’il se passe avant de le diffuser sur internet. Cela permet de savoir ce qui se passe pour nous qui sommes au loin.

 

Propos recueillis par François Nys