Turquie : « les gens n’ont plus peur »

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iizmir manifestation TurquieDepuis plus d’une semaine, la Turquie est le théâtre de violents affrontements entre les manifestants et les forces de police du pays. C’est une population en colère qui est descendue dans la rue pour clamer son mécontentement face à la politique du Premier Ministre, Recept Tayyip Erdogan, et du parti pour la justice et le développement (AKP). L’association France-Turquie de Midi Pyrénées suit de près la situation et a même manifesté ce vendredi son soutien au peuple turc.

 

Voilà 9 jours que la place Tsakim est le lieu de toutes les revendications. Une réaction provoquée par « l’attitude brutale » des policiers turcs lors du regroupement pacifique d’une partie de la population, contre le projet de construction d’un centre commercial sur le site du Parc Gezi. Mais en réalité, pour Pinar Seymen, membre de l’association France-Turquie Midi-Pyrénées, et originaire de Iznir, la situation était latente. « Maintenant les gens n’ont plus peur. L’été dernier, quand j’étais là bas, il y avait une forme de paranoïa. Ils n’osaient pas parler à cause des différentes condamnations des opposants du régime qui ont eu lieu » confie-t-elle « mais mon entourage en a ras le bol depuis longtemps ».

 

La crainte d’une islamisation du pays

Elle fait ainsi référence à Fazil Say, pianiste reconnu, condamné pour avoir « blasphémé contre la religion sur twitter ». Omer Isik, secrétaire de France-Turquie Midi-Pyrénées, fait écho « aux journalistes, et parlementaires de l’opposition emprisonnés » ainsi qu’aux « interpellations des manifestants ». Selon lui, si le gouvernement en place montre « un visage libéral et démocrate », il cherche en réalité à « islamiser le pays ». « C’est dangereux » s’inquiète t-il.

Plus qu’une simple revendication écolo, la mobilisation est devenue politique. L’interdiction de consommer de l’alcool après 22 heures, ou encore le projet de construire une mosquée sur la place Tsakim constitue selon eux autant « d’atteintes au principe de laïcité ». Il dénonce l’engrenage amorcé par le pouvoir islamo-conservateur pour lever certaines restrictions, au nom d’une république laïque. « Il utilise la liberté de culte pour multiplier les mosquées et autoriser le port du voile dans les lycées religieux » condamne le secrétaire de France-Turquie Midi-Pyrénées. Il décrit un pouvoir « intelligent », qui peu à peu « change les lois fondamentales ». Pour Pinar, le pouvoir « grignote » les droits acquis par la République. Sans parler d’islamisation de la Turquie, elle perçoit un « retour à la morale religieuse de l’Islam musulman », notamment à travers des mesures comme la prescription obligatoire de la pilule du lendemain par ordonnance. « La laïcité est importante en Turquie surtout pour les femmes » explique-t-elle.

 

Les réseaux sociaux, un nouveau souffle face à une liberté d’expression « muselée »

Les médias sont le vecteur de l’information, mais leur marge de manœuvre reste limitée. Pour Omer Isik, secrétaire de l’association, les populations sont « conscientes de ce qui arrive », même si les chaînes proches du pouvoir « évitent de montrer des images de la violence des heurts ». « Une chaîne a refusé de diffuser la réalité des événements. Les gens sont allés manifester devant leurs bâtiments afin d’exiger une attitude impartiale de leur part » raconte t-il. Pinar Seymen, elle, parle de chaînes publiques « muselées », qui continuent de « dénigrer » les faits, bien que certaines « relatent les affrontements avec la police ».

Une liberté d’expression qui trouve un second souffle à travers les réseaux sociaux, qualifiés de « menace » par le Premier Ministre Recep Tayyipp Erdogan, il y a quelques jours. Aujourd’hui c’est une contestation d’une autre ampleur, qui ne connaît plus de frontières et se développe sur la toile. Pinar Seymen évoque « un mouvement des réseaux sociaux », « une mobilisation qui n’a pas d’organisation », qui va au delà d’une simple « revendication idéologique ». Avec les réseaux sociaux la révolte prend une envergure « mondiale ». De new York à Paris les turcs qui sont à l’étranger adressent leurs encouragements. « On se tient informé et communique avec eux sur Facebook » déclare-t-elle.

Mais depuis quelques jours, on accuse le gouvernement de dresser des obstacles à l’utilisation de ces nouveaux modes d’expression. Une information qui semble se confirmer à l’heure actuelle. « Un ami qui est allé manifester m’a dit qu’il y avait une sorte de bruitage, d’onde, je ne sais pas exactement, qui empêche d’aller sur internet avec son portable » confie Pinar.

 

Vers un prolongement du Printemps arabe ?

Pascal Nakache, Président de la Ligue des Droits de l’Homme Midi-Pyrénées, considère que les récentes manifestations s’inscrivent « dans le prolongement du printemps arabe ». Il relate des « atteintes évidentes » à la liberté d’expression, et « s’inquiète » de l’attitude du régime. Selon lui, l’Europe doit être « vigilante », et « faire pression par la voie diplomatique » afin de faire respecter les engagements démocratiques pris par la Turquie.

Malgré les revendications, le pouvoir conserve une certaine popularité. « J’ai eu ma sœur au téléphone ce matin (la semaine dernière). Elle garde toujours en tête qu’il a fait beaucoup pour eux » déclare Omer, qui ne s’inquiète pas pour la suite des événements. Pinar Seymen met en avant la complexité du paysage démographique en Turquie, et observe un soutien qui « vient surtout des campagnes » jusqu’alors « isolées ». « Il a quand même redressé le pays depuis la crise des années 2000 » explique-t-elle pour justifier cette notoriété. Un mouvement qui cependant menace, selon elle, de prendre « une plus grande ampleur » face à « l’humiliation » répétée des manifestants.

 

Article de Marine Astor