Entretien avec Wanda Mastor, professeure toulousaine membre de la commission Jospin

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A 39 ans, cette native d’Ajaccio arbore un parcours professionnel sans faille. Maître de conférences dès 2002 à la fac de l’Arsenal, elle réussit six ans plus tard son concours d’agrégation et s’envole pour Limoges. De retour dans la Ville rose en 2010, elle est depuis professeure agrégée de droit public à l’Université de Toulouse. Elle est le seul cerveau toulousain à avoir intégré la commission initiée par l’ex-Premier ministre, dédiée à la moralisation de la vie politique. Constitué de trente-cinq propositions, ce rapport vient d’être remis au gouvernement le 9 novembre dernier. Wanda Mastor raconte l’expérience et éclaire les lignes phares de cet épais dossier.

 

Toulouse Infos: « Comment vous-êtes vous retrouvée au sein de cette prestigieuse commission ?

Wanda Mastor: En juillet dernier, j’ai reçu un coup de fil du cabinet de l’Elysée, m’informant que Lionel Jospin souhaitait que je fasse partie du projet. Je n’ai pas hésité une seconde, il y a des nominations qui ne se refusent pas. La commission cherchait à recruter des constitutionnalistes reconnus pour leurs travaux, ce qui était mon cas. Il y avait par ailleurs un souci de parité territoriale et d’égalité hommes-femmes. Nous étions au total quatorze.

 

T.I: En quoi consistait concrètement le travail de la commission ?

W.M: Dès juillet, nous avions été informés du calendrier à venir. A partir du 1er septembre, nous nous sommes réunis toutes les semaines à Paris, au sein d’une annexe de Matignon. Chaque semaine était dédiée à une thématique précise.

 

T.I: L’une des conclusions du rapport propose de supprimer l’immunité pénale du chef de l’Etat et son inviolabilité. N’est-ce pas le risque de fragiliser la fonction mais aussi la stabilité de la République ?

W.M: C’est un point du rapport qui peut devenir polémique, dans le sens où il va grandement satisfaire les uns et fortement déplaire aux autres. Ceux qui y sont opposés mettent en avant la courte durée d’un quinquennat, ce qui est un argument recevable. Cependant, il y a peut-être un trop grand décalage entre le statut de l’homme le plus puissant et celui du citoyen ordinaire. Imaginez qu’un président soit reconnu coupable d’assassinat au cours de son mandat, cela poserait quand même un problème. Les règles de procédures seraient néanmoins particulières, puisqu’elles incluraient un processus de filtrage effectué par une commission spéciale. Celle-ci examinerait préalablement le dossier et le transmettrait au seul Tribunal de Grande Instance de Paris.

 

T.I: Autre point, le « parrainage citoyen » fixé à 150 000 signatures nécessaires pour se présenter à l’élection présidentielle, remplaçant les cinq-cents paraphes de maires. De la même façon, peut-on craindre des falsifications ou encore l’émergence de candidatures improbables ?

W.M: C’est effectivement le risque. Mais nous avons estimé que le système des cinq-cents signatures n’était plus très viable. Ces signatures citoyennes seraient bien évidemment anonymes et pourquoi pas transmises au Conseil Constitutionnel qui ne devrait pas avoir trop de mal à vérifier leur authenticité. Quant au nombre de 150 000, cela nous a paru suffisamment haut pour dissuader les candidatures farfelues. Et en même temps, assez bas pour qu’un courant représentatif puisse concourir.

 

T.I: Le rapport préconise également l’introduction de 10% de proportionnelle aux législatives. Est-ce que la gauche ne referait pas trente ans après le « coup » de François Mitterand ? C’est à dire, selon certains observateurs, faire monter le Front National à des fins électorales…

W.M: Cela n’a rien à voir, il n’y a absolument pas d’objectif politique ou politicien là-dedans. Nous nous sommes faits par cette proposition l’écho d’énormément de revendications, qui transcendent les clivages droite-gauche. Le scrutin majoritaire ne représente pas assez les sensibilités. Je trouve que 10% est dans ce sens-là une hauteur parfaite. Un pourcentage plus élevé entrainerait une trop grande instabilité parlementaire.

 

T.I: Etes-vous satisfaite du déroulement de la commission et des propositions qui en sont ressorties ?

W.M: Les séances de travail étaient intenses mais très satisfaisantes. Il y a bien sûr eu des moments de crispation, qui tiennent peut-être du fait que nous venions tous d’horizons très différents. Les débats ont été vifs mais toujours sérieux. La balle est maintenant dans le camp du gouvernement et des parlementaires. François Hollande a dit qu’il plancherait sur ces propositions dès janvier. Je ne les approuve pas toutes entièrement, mais celles auxquelles je tenais le plus ont été maintenues. Dans tous les cas, j’assume l’ensemble.

 

T.I: Qu’avez-vous pensé de Lionel Jospin ?

W.M: Je l’ai trouvé conforme à sa réputation, celui d’un homme rigoureux. Mais j’ai été agréablement surprise de trouver quelqu’un de très à l’écoute, toujours souriant et doté d’un grand sens de l’humour. »

 

Propos recueillis par Christophe Guerra