Éric Brunet : « il faut que les journalistes arrêtent de vouloir le monopole de l’information »

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Le polémiste, chroniqueur, essayiste et animateur Éric Brunet est présent ce mercredi à 20h30 à la salle Barcelone de Toulouse pour une rencontre débat sur les médias. A cette occasion, l’animateur de RMC Info revient pour nous sur la situation de la presse à l’heure actuelle ainsi que sur les mutations du métier de journaliste.

 

Toulouse Infos : A l’heure où l’on parle de la baisse des aides attribuées à la presse, que pensez-vous de ces aides ?

Éric Brunet : Philosophiquement, et pour de nombreuses raisons, je suis contre le principe d’aide publique aux médias et de manière générale aux entreprises. Nous sommes dans un pays qui a trop de relation incestueuse entre l’Etat et les entreprises. Pour Peugeot par exemple, les aides se sont avérées plus néfastes que bénéfiques. La presse est aidée et c’est bien, mais pour moi elle est une industrie comme les autres. Après, étant un amoureux de l’opinion, je suis favorable à ces aides, même si c’est contre nature. Par contre, ce qui me scandalise par-dessus tout dans cette histoire, c’est l’exonération de la dette faite à l’Humanité. Si c’était pour le Figaro, j’aurais tout autant été scandalisé, car de nombreuses entreprises crèvent de faim en France et pourtant on ne leur fait aucun cadeau.

T.I : Faut-il être détenteur de la carte de presse pour être journaliste ?

E.B : J’ai fait une école de journalisme reconnue, je me suis retrouvé journaliste et j’ai travaillé à France 3 mais aussi pour d’autres rédactions. J’ai énormément souffert de la politisation des médias. Je suis de droite, ce n’est pas un secret, et pourtant je ne suis pas un militant actif. Mon premier vote date de 2012. Pourtant, j’avais les journalistes de la CGT constamment sur le dos, c’était l’enfer. Au milieu des années 2000, j’ai décidé de ne pas renouveler ma carte de presse, lassé par la politisation de mes collègues.

Bernard Pivot me disait que la carte ne fait pas le journaliste et qu’elle n’a une utilité presque quasiment que fiscale. Car si demain un journaliste dit des choses abominables dans son sujet, il sera sanctionné pénalement, mais sa carte de presse ne lui sera pas retirée, contrairement à l’ordre des médecins qui a la possibilité de retirer le droit d’exercer.

Le dernier sondage dont on dispose le montre bien, seuls 6% des journalistes s’apprêtaient à voter à droite en 2012. Dans une corporation comme la presse, c’est inquiétant, car elle devrait être représentative de l’Etat et donc être plus  proche de 50/50 que du 94/6.

T.I : On dit de vous que vous êtes journaliste d’opinion, mais associer «  journaliste  » et « opinion », n’est ce pas paradoxal ?

E.B : Il y a toujours eu des journalistes d’opinion comme Camille Desmoulins ou François Mauriac et je m’inscris dans cette ligne. Pour moi, le journalisme d’opinion est noble tant que l’on annonce la couleur d’entrée de jeu. Par contre, ce qui me gêne,  c’est lorsque de petits bulletins d’informations font des commentaires où se trouvent une opinion de manière insidieuse, là il y a soucis. Il faudrait d’un côté une presse de type anglo-saxonne qui sépare des faits des opinions et d’uns autre des journalistes d’opinion qui soient clairement annoncés. Hélas en France ce n’est pas ainsi. Ceci dit, historiquement, l’histoire de la presse française a toujours eu une relation incestueuse avec la politique, et cela continue, donc la séparation sera difficile.

T.I : Que pensez-vous des nouvelles technologies ? On parle de la mort de la presse papier, qu’en pensez-vous ?

E.B : Je crois que la presse est menacée par les nouvelles techniques de communication comme Twitter, internet et tout ce qui va apparaître. Les technologies vont de plus en plus vite, et ça va aller crescendo. La presse et le papier sont menacés, c’est évident. En revanche, il y aura toujours de la place dans la presse de niche, celle qui a un sens à être lue. En effet, on observe qu’il y a un seuil où internet ne va pas. Après, on avait prophétisé la mort du livre, et pourtant il est toujours là. La presse ne va pas mourir, elle sera intelligente et saura où aller pour survivre.

T.I : Cette évolution risque de modifier la profession.

E.B : Oui, de nouveaux journalistes vont apparaitre. Des personnes qui ont un travail à côté, mais qui seront capables d’apporter des analyses pointues et précises sur des sujets. Il faudra intégrer ces personnes dans la logique rédactionnelle. Il y aura un jour, sur le Médiapart de demain, où des gens qui auront une expertise très précise et qui ne seront pas journaliste, seront invités à amener leur valeur ajoutée au lecteur. Des gens qui avec internet n’auront pas à passer par le prisme de la rédaction. Mais tout cela n’est pas grave, à part pour des réacs’ comme moi. J’aime le contact du papier, mais la même chose se fait sur internet. Nous sommes la génération qui vivons la dégringolade, donc nous sommes nostalgiques, mais dans l’essentiel il y aura toujours des gens qui feront un travail de journaliste de manière sérieuse. En fin de compte, ce n’est que le support qui change car il n’est pas sûr que les rédactions se transforment. Le plus important est qu’il faut que les journalistes arrêtent de vouloir le monopole de l’information, ce n’est définitivement plus le cas.

 

Propos recueillis par François Nys