Jean-Michel Ducomte : « la laïcité n’est et ne peut pas être une religion »

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Avocat de droit public et maître de conférence à l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse, Jean-Michel Ducomte manie aussi la plume. En juillet dernier, il publie aux éditions Privat un essai remarqué sur le sens et l’évolution du principe de laïcité. L’occasion pour Toulouse Infos de s’entretenir avec l’auteur.

 

Toulouse Infos : Quelle était l’idée de départ qui a motivé cet ouvrage?

Jean-Michel Ducomte : A l’origine, la démarche est double. D’une part, j’avais la volonté de mettre en perspective une notion souvent évoquée sans que l’on prenne la peine de voir tout ce qu’il y a derrière. J’ai ainsi cherché à retracer sa trame philosophique, ses conditions historiques et ses applications concrètes en terme de droit. D’autre part, il y avait une raison conjoncturelle. La laïcité a été au coeur de récents débats comme ceux de l’identité nationale ou du port du voile. Chez certains, elle est devenue une « laïcité de l’interdiction », c’est à dire un outil d’intolérance et disons-le clairement, d’islamophobie. Je voulais interpeller sur l’évolution de son usage.

 

T.I : Justement, sur l’interdiction du port du voile dans la sphère publique, quelle est votre position?

J-M D : Pour moi, le port du voile est une ineptie. Mais je ne crois pas que la solution est de l’interdire. Cela ne fera émerger que de nouvelles Antigone, c’est à dire des jeunes femmes intelligentes, cultivées qui vont aller défier la République. Quant à celles qui y sont contraintes, elles resteront tout simplement enfermées chez elle.

 

T.I : La laïcité est-il un concept flou aujourd’hui?

J-M D : Non, c’est un concept d’une clarté absolue et lumineuse. Elle est cette séparation entre l’ordre des convictions et l’ordre républicain. Pour reprendre une citation de Jean-Paul Scot, on peut dire « l’Etat chez lui, l’Eglise chez elle ». Tout est dit dès l’article 1 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. La laïcité est cette liberté pour chacun de penser ce qu’il veut tout en restant dans le cadre juridictionnel.

 

T.I : Pour l’essayiste Alain Soral, la laïcité est devenue la nouvelle religion d’État sous la volonté des puissances maçonniques, qui voulaient détruire l’identité française chrétienne. Qu’en pensez-vous?

J-M D : C’est encore le vieux fantasme du complot judéo-maçonnique. Cela ne correspond pas à la réalité. Les maçons ont contribué à la promulgation de la laïcité, mais comme beaucoup d’autres l’ont fait. La laïcité n’est et ne peut pas être une religion, étatisée ou non. Quant à cette identité française, discours que l’on retrouve chez certains catholiques laïques ou identitaires, c’est une identité fantasmée. Il existe plutôt une identité de la France, constituée historiquement d’une série d’apports et d’éléments périphériques.

 

T.I : Pourquoi défendre la laïcité?

J-M D : Parce qu’elle est tout simplement l’affirmation de la liberté de conscience. Un engagement dans une démarche émancipatrice.

 

Propos recueillis par Christophe Guerra

Laïcité, laïcité(s)

Jean-Michel Ducomte

Editions Privat