Histoires de rétention (épisode 1)

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Centre de retension de Cornebarrieu. Photo / CTIEn 2010, 1636 personnes ont été placé au Centre de rétention de Cornebarrieu et rien que pour le mois de décembre 32 d’entre eux ont été reconduit à la frontière. La Cimade intervient en rétention depuis 1985. Aujourd’hui, plus d’une cinquantaine d’intervenants salariés et une vingtaine de bénévoles exercent, au quotidien, une mission d’aide à l’exercice des droits au profit des étrangers enfermés dans les 23 centres de rétention administrative (CRA) de métropole. Voici une histoire contée par l’un d’entre eux :


Lorsque je vois David frapper à la porte de notre bureau je me dis que c’est une fois de plus la même histoire qui se renouvelle : reconduite impossible, individu brisé par des placement en rétention à répétition, acharnement stupide. C’est la troisième fois que ce jeune homme est placé au centre. A chaque fois il a bu jusqu’à la lie les 32 jours de privation de liberté, pimentés à la demande de l’administration, de mesure de déferrement et donc de condamnations pénales à de la prison ferme.

 

David est originaire de Tskhinvali.

Cette bourgade située au creux d’une vallée, dans une région montagneuse du Caucase est plutôt jolie et pourrait facilement accueillir le jeu des mille Laris (monnaie géorgienne) si elle ne situait dans une région très troublée, l’Ossétie du Sud.

Pour aller vite on peut dire que depuis 1992, date à laquelle cette région a proclamé unilatéralement son indépendance et a fait sécession d’avec la Géorgie (dont elle faisait auparavant partie), il ne fait plus bon vivre dans ce coin du caucase.

En pratique la Géorgie boude et ne reconnaît pas les ressortissants de cette région et la Russie fait de même et refuse de reconnaître les citoyens nés en Ossétie du Sud alors même qu’ils étaient de fait soviétiques à leur naissance et jusqu’en 1991.

 

David paie depuis de longues années les pots cassés de cette situation géopolitique inextricable. Pour prouver sa bonne foi il a écrit lui-même aux deux représentations diplomatiques à Paris mais aucune des deux ne veut de lui.

Il a réussi à obtenir un acte de naissance afin de s’éviter une nouvelle condamnation pour dissimulation d’identité. Il ne veut qu’une chose, travailler et pouvoir enfin vivre normalement, avoir un appartement et ne plus vivre en foyer.

A cette demande légitime la préfecture répond tous les 6 mois au gré des contrôles d’identité par de nouveaux placements en rétention. Cette dernière restera sourde à notre demande téléphonique de libération anticipée au bout de 17 jours.


– Ah bin non, on va le garder 32 jours, car on ne sais jamais peut être que le consul le reconnaîtra le dernier jour et puis on à le droit de le garder jusqu’au bout de toutes façons !

 

Un ange passe, on sent le fonctionnaire fin connaisseur de la problématique géopolitique caucasienne et très attentif au concept des libertés individuelles !

 

Cette fois encore David est resté 32 jours au CRA et est finalement sorti complètement épuisé par le stress incessant de la vie en rétention, le moral dans les chaussettes et un profond dégoût pour ces fonctionnaires qui jouent avec lui depuis trop longtemps.

Leo