Julien Bassot : « publier n’est pas une fin en soi, écrire oui »

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A vingt-cinq ans, Julien Bassot publie son premier roman, « Un Tsar en hiver », aux éditions Persée. Une vraie fierté pour ce jeune toulousain au parcours atypique, écrivain depuis ses premières heures. Son récit entraîne le lecteur dans les tribulations d’un jeune romancier au caractère acerbe, engagé comme dramaturge dans une école de théâtre privée. Rencontre avec l’auteur qui revient sur son parcours, son livre et sa vision du métier d’écrivain.

 

Vous avez un BTS Assistant Trilingue, vous avez travaillé dans la fonction publique, dans la publicité, l’événementiel, vous avez été cadre, mais aussi ouvrier à la chaîne chez McDo, comment êtes-vous arrivé à l’écriture ?

Julien Bassot : J’ai écrit mes premiers poèmes vers l’âge de dix ans. A l’adolescence, j’ai commencé à écrire des essais et des petits textes satiriques. J’avais des affinités avec la langue française et une certaine conscience du monde. L’écriture n’a jamais été pour moi une lubie, c’était une passion.

Quelles sont vos influences littéraires ?

J.B : En terme de poésie, Charles Baudelaire est mon grand maître. Il n’y a rien au-dessus. Sinon je suis un grand fan de littérature russe, surtout Tolstoï, Dostoïevski, Gogol…Il y a dedans une vraie âme, quelque chose entre le mystique et le politique. La littérature russe est la seule à avoir réussi cet alliage.

Comment vous est venue l’idée de ce livre ?

J.B : C’est parti d’une discussion avec un pote à qui je racontais mes histoires féminines. Un jour, il m’a dit : « ta vie, c’est presque un roman ! ». Ça m’a fait tiquer. En 2010, je sortais d’une grosse dépression, j’avais besoin de reprendre ma vie par le bon bout. Le seul point sur lequel j’avais une totale confiance en moi, c’était l’écriture. Cette dépression m’avait rendu plus fort, plus mature. J’étais prêt au combat.

Une sorte de thérapie sur feuille blanche…

J.B : Il n’y a jamais eu de feuille blanche. La vision globale, je l’avais. Je suis parti à l’abordage, direct dans le tas. J’ai écrit le livre en quinze mois, j’y consacrais en moyenne trente-cinq heures par semaine. Je me suis imposé des plages horaires d’écriture. J’avais une rigueur de vie, je m’autorisais maximum deux sorties par semaine, pas plus. Fantasque comme je suis, c’était une obligation..(rires)

Parlons maintenant du roman lui-même et de son titre, « Un Tsar en hiver »…

J.B : Il faut comprendre l’hiver non pas comme la saison, mais l’époque. Et je pense que la nôtre est l’une des plus dégénérées que l’humanité n’ait jamais connue…Quant au Tsar, ça renvoie au surnom « L’Empereur » que l’on m’avait donné à cause de ma passion pour Napoléon. C’est aussi parce que mon personnage, Dimitri, a des origines russes. Ça me permettait de donner un peu d’exotisme à mon livre.

L’histoire se déroule à Toulouse. C’était important pour toi de faire évoluer ton personnage dans la Ville rose ?

J.B : J’ai reçu une éducation du nord, le sud-ouest n’est pas spécialement ma tasse de thé.  Mais c’est là où j’ai grandi, et je suis quelqu’un de très enraciné. Toulouse est une très belle ville, le problème c’est les toulousains (rires). Je les trouve un peu superficiels. Ils discutent avec tout le monde, ils ont beaucoup de copains, mais peu d’amis. Mais Toulouse a ce charme des villes latines, qui aiment le soleil et la dolce vita. Son substrat romantique collait bien avec l’histoire et mon personnage.

Comment décririez-vous Dimitri, le personnage principal de votre livre ?

J.B : C’est un jeune homme un peu ours, aux idées très tranchées et peu à l’aise avec l’ingénierie sociale contemporaine. Il se retrouve marginalisé dans un pays en pleine décadence, dans un système capitaliste moribond sans valeur, dans cette espèce d’inertie des âmes. Dimitri lui est en vie, ce n’est pas un zombie. Il sent son destin et se bat pour ça. C’est un romantique, une sorte de perdant magnifique qui assume ses différences. Il vient de terminer l’écriture d’ un roman inspiré des grandes tragédies grecques, qui n’intéresse pas grand monde.

Quelqu’un repère pourtant son talent d’écrivain.

J.B : Oui. Dimitri participe à un petit salon pour jeunes écrivains organisé par le Conseil Général.   Son stand n’attire personne, à part un mec qui lui taxe une cigarette. C’est un bide monumental, c’est son Waterloo à lui (rires). Mais la providence finit par arriver : une certaine Mme Valériane, qui dirige une école de théâtre privée, lui prend un exemplaire. Parce qu’elle sent chez lui un gros potentiel, elle l’engage comme dramaturge pour écrire la pièce de fin d’année. Dimitri accepte. C’est l’élément déclencheur.

Dimitri va découvrir un univers social très éloigné du sien.

J.B : C’est une confrontation que j’ai vécue quand j’étudiais au lycée Ozenne et que j’avais trouvé très intéressante à l’époque. Dimitri, c’est un petit gars du peuple qui atterrit dans un lieu bourgeois pédant et très féminin, avec beaucoup de filles à papa. Mais Dimitri ne fait pas profil bas et ose mettre les élèves devant leurs propres contradictions. Un soir, il est convié par la promo pour manger dans un restaurant américain branchouille. C’est là qu’il explose et devient le paria de l’école. Il rentre ensuite dans le lard du metteur en scène, un mec imbuvable, encore plus détesté que lui. Cet épisode lui permet d’ailleurs de se relancer.

Pourtant, Dimitri va finir par séduire ces dames. Peut-on voir dans ce roman une dimension politique ?

J.B : Bien sûr, même si c’est forcément imagé. Tout dans la vie revient selon moi au politique, même en amour. Dimitri, c’est un peu Jack dans Titanic (rires). Un petit gars du peuple, mais du peuple éclairé, gracieux. Seul un prolo éclairé peut séduire une bourgeoise. Celui qui pète à table avec un ricard à la main n’a aucune chance.

Il tombe même amoureux d’une des élèves de l’école…

J.B : Elle, c’est la perle, la fille magnifique, Une petite bourgeoise dans toute sa splendeur, intelligente et fière,  mais qui cache une histoire personnelle pesante qui la ramène au réel. Dimitri lui donne non pas ce dont elle a envie, mais ce dont elle a besoin. Entre eux, c’est ce qu’on appelle vulgairement le coup de foudre. Cette « femme-messie » est l’un des grands thèmes de mon livre. C’est l’âme sœur, celle qui parvient à transcender l’homme et dont on tombe très vite amoureux. C’est quelque chose que j’ai vécu.

La suite de l’histoire réserve d’autres rebondissements mais n’en disons pas plus. Qu’est-ce qui est le plus dur finalement, écrire un livre ou le faire publier ?

J.B : Écrire ! Surtout si tu veux y mettre tes tripes. Publier n’est pas une fin en soi, c’est l’écriture qui importe. Pour ma part, j’avais envoyé mon manuscrit à Cherche-Midi, Gallimard, Flammarion et d’autres qui m’ont répondu non par lettre-type. J’avais discuté entre-temps avec la responsable de Persée. Elle m’a ensuite rappelé et m’a dit que mon roman était de qualité. C’est ce qu’ils cherchaient.

C’est une satisfaction?

J.B : Si tu es satisfait, c’est que tu es un petit con arrogant. On peut toujours faire mieux. Si tu commences à te masturber sur ton œuvre, tu ne progresseras jamais. C’est très comparable au sport, il faut sans cesse se perfectionner. Les plus grands champions sont ceux qui se remettent constamment en question.

Un Tsar en hiver est grandement inspiré de votre histoire personnelle. Est-ce qu’un écrivain, particulièrement pour un premier roman, peut éviter l’autobiographie ?

J.B : Ah ça, c’est une très bonne question…(il sourit). Je dirais que non. Mais il y a un effort de dédoublement à faire, pour ne pas tomber dans le pathos du « moi je ». Il faut être son personnage… mais comprendre que ce n’est pas toi. C’est très compliqué.

Vous donneriez quels conseils à quelqu’un qui voudrait écrire un premier livre ?

J.B : N’écris pas (rires). Non plus sérieusement, c’est difficile à dire. Si c’est une lubie, travaille. Si tu as bossé ton écriture et ton style, fonce. Faire des choses par soi-même, entreprendre, c’est très important. C’est beau de parler, mais il faut savoir un moment mettre ses couilles sur la table, y aller sabre au clair. Une fois qu’on a fait ça, on n’a pas de regrets.

Au fond vous écrivez pour qui, vous ou votre public ?

J.B : Pour moi, pour mon honneur. Presque pour mon éternité terrestre. Certains lecteurs attendent de la distraction, d’autres cherchent des diamants bruts dans la merde. Je m’intéresse plutôt à ceux qui veulent lire une histoire ancrée dans notre réalité.

Où peut-on trouver votre roman ?

J.B : Pour l’instant, il a été imprimé à deux cent exemplaires et je pense que les libraires du coin ne l’ont plus. Mais il est disponible sur les principaux sites de vente en lignes : Amazon, Fnac, PriceMinister etc…

C’est devenu votre gagne-pain ?

J.B : Je touche 25% à chaque exemplaire. Ça me fait un peu d’argent de poche mais rien de mirobolant. Très peu d’écrivains vivent de leur métier. Dans ce monde de l’édition-bizness, on cherche d’abord à toucher la ménagère de moins de cinquante ans avant la qualité. Quant aux libraires, c’est beaucoup plus rentable pour eux de commander quarante Lévy ou quarante Musso plutôt que de promouvoir des auteurs de la région. Je les comprends aussi.

Une suite ? Un second roman en préparation ?

J.B : Je suis nominé dans un salon qui récompensera en novembre prochain le meilleur premier roman de Midi-Pyrénées et je devrais bientôt tenir une conférence à Lalande. Un Tsar en hiver est le premier volet d’une trilogie. Le second s’appellera « Le Printemps des Ilotes ». J’ai effacé ce que j’avais commencé car ce n’était pas bon. Je veux prendre le temps d’écrire des choses de qualité.

 

Propos recueillis par Christophe Guerra

 

Julien Bassot, Un Tsar en Hiver (éditions Persée), 23,40£