Défilé militaire du 14 juillet. Applaudir les engins de mort ?

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Un récent sondage (CSA pour BFMTV) indique que 53% des Français sont opposés à la suppression du défilé du 14 juillet. Seuls 29% y sont favorables (18% sont sans opinion). Il y a deux ans, le 14 juillet 2011, Eva Joly avait suscité un tollé en proposant de le supprimer et de le remplacer par un défilé citoyen. De nombreuses personnalités de gauche et de droite avaient alors rivalisé dans une surenchère de cris d’orfraies dénonçant tant l’irresponsabilité que l’incongruité d’une telle proposition…

 

Un jour, sans doute lointain…, on saluera les propos d’Eva Joly comme l’ouverture d’une véritable brèche dans le mur de l’idéologie militariste française. Car de quoi s’agit-il ? Il s’agit ni plus ni moins de dénoncer ce spectacle affligeant et déshonorant qui consiste à venir applaudir les derniers bijoux de la quincaillerie militaire. Ce ne sont pas seulement des hommes revêtus d’un uniforme et qui ont fait le « choix » de consacrer leur vie à l’institution militaire que le peuple est convié à saluer sur les Champs Elysées, mais ce sont des centaines d’engins de mort, des chars et des missiles, que notre pays se glorifie d’exporter aux quatre coins du monde pour le plus grand malheur des peuples du Sud qui n’en finissent plus de mourir.

Existe-t-il spectacle plus indécent et plus immoral que cette pitoyable procession qui laisse penser que la patrie ne serait grande que par la taille de ses missiles, la puissance de ses chars, la beauté de ses uniformes ? En réalité, ce défilé symbolise, plus que tout autre, la culture de la violence et de la guerre qui domine encore et toujours nos sociétés. A travers le culte rendu aux armes, y compris de destruction massive, nous perpétuons de générations en générations, l’idée que seules la violence et la guerre peuvent défendre la justice et la paix, alors qu’elles les bafouent toujours, partout, pour le malheur de notre fragile Humanité.

« La musique qui marche au pas, cela ne me regarde pas », chantait le poète. En réalité, cela nous concerne tous. Au plus haut point. Car marcher au pas, et qui plus est, venir admirer la marche au pas, n’est-ce pas le symbole de l’abdication des forces de la raison et de la conscience qui pensent, comme le disait le philosophe Alain, « contre la société qui dort » ? N’est-ce pas le général Lyautey qui affirmait en connaissance de cause « quand j’entends les talons qui claquent, je vois les cerveaux qui se ferment » ? N’est-ce pas le projet ultime des états totalitaires de soumettre la société et les citoyens à l’obéissance inconditionnelle, celle qui ne laisse aucune place à la divergence, à la dissidence et finalement à la résistance ? En quoi ce spectacle dégradant a-t-il une quelconque place dans un pays qui prétend rester fidèle aux valeurs de la liberté et de la fraternité ? Notre incohérence conjuguée à notre arrogance éclate ainsi au grand jour. Et lorsque cela est dit, cela n’est pas compris. Seule la dénégation nauséabonde et l’insulte publique tiennent lieu de réponse. Oui, il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Pourtant, le 14 juillet 1789, ce n’est pas l’armée qui a pris la Bastille, c’est le peuple qui a pris la Bastille à l’armée. C’est le peuple, les citoyens en insurrection, qui ont été les acteurs de la Révolution. Ce seul rappel historique devrait signifier toute la stupidité d’un défilé militaire que seule la France maintient en Europe, envers et contre tout, au nom d’une soi-disant unité nationale autour de son armée. Quelle armée ? Celle des conquêtes napoléoniennes ? Celle qui tire contre le peuple insurgé à Paris en 1830 ? Celle de la défaite de 1940 ? Celle de la torture en Algérie ? Non, bien sûr, tout cela est oublié et renié. Il s’agit de l’armée qui a vaincu à Valmy en 1792, qui a défendu la République contre les forces coalisées des monarchies européennes. Pauvre pays, si sélectif dans sa mémoire, si peu ouvert aux autres, si imbus de son arrogance et si incohérent avec ses propres valeurs.

Pourquoi ce jour de célébration ne serait-il pas l’occasion de revisiter les fondements de notre vivre ensemble sous la triple bannière de la Liberté, de l’Egalité et de la Fraternité, valeurs éternelles toujours à conquérir, à défendre et à faire vivre ? Cela aurait infiniment plus de sens que de subir passivement une parade militaire d’un autre âge. La fête nationale, qu’il ne s’agit pas de remettre en cause, aurait alors les accents enthousiastes d’un pays qui veut encore être acteur de l’Histoire, ouvert aux défis du XXIème siècle. Un pays qui ne succombe pas à la peur de l’avenir, mais qui le construit sans renier son identité républicaine.

Je sais que ces propos choqueront, voire indigneront ceux qui ne peuvent envisager que ce tabou national soit brisé. Le civisme de dissentiment est pourtant une exigence de la démocratie… Et ce n’est point faire l’apologie du pacifisme que d’enfoncer un coin dans l’institution militaire. Le pacifisme dénonce avec raison les horreurs de la guerre et refuse également avec raison les moyens de la guerre, mais il ne propose rien pour combattre les injustices et les tyrannies. Il nous faut sortir des insuffisances du pacifisme pour entrer dans la dynamique et le réalisme de la non-violence qui résiste aux injustices, propose des alternatives crédibles à la guerre et construit durablement la paix dans la cohérence des moyens employés avec la fin espérée. Il s’agit de sortir de la culture de la violence dont le défilé militaire du 14 juillet est l’un des symboles visibles et médiatiques pour entrer dans une culture de la non-violence qui offre une nouvelle espérance aux générations futures. Il est en effet urgent de préparer l’avenir de notre « Terre-patrie » bien malmenée par une multitude d’idéologies de l’intolérance, de la violence et de la guerre. C’est pourquoi l’éducation à la non-violence et à la paix devrait être l’un des investissements majeurs de nos sociétés pour consolider et améliorer notre vivre ensemble.

 

Tribune d’Alain Refalo, militant de la non-violence